Quatre ministres, quatre recettes

Publié le 25/02/2013
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Crédit photo : S Carambia

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Crédit photo : S Toubon

MARISOL TOURAINE met ses pas dans les leurs : Xavier Bertrand (2005-2007 puis 2010-2012), Roselyne Bachelot (2007-2010), Elisabeth Hubert (1995), Jack Ralite (1981-1983). Ils témoignent de leur passage dans un ministère réputé difficile.

 

• Xavier Bertrand : « Une approche technocratique est gage d’incompréhension »

« Quand je suis revenu au ministère de la Santé en 2010, les professionnels de santé avaient le sentiment de ne pas être entendus, et on avait un peu opposé les libéraux aux hospitaliers. Ma technique a consisté à tenter de comprendre ces deux mondes, et d’éviter d’avoir l’œil fixé sur les courbes de sondage. Elle a aussi consisté à être toujours sur le terrain, tout en évitant les visites ministérielles protocolaires avec 70 membres de cabinet. On m’a parfois reproché d’être trop proche des professionnels de santé, mais il faut obtenir leur confiance, faute de quoi aucune réforme n’est possible. Je garde toujours à l’esprit que pour beaucoup de responsables politiques, le ministère de la Santé a été le dernier poste, il ne faut pas l’oublier.

Peut-être est-ce un atout de ne pas être médecin pour occuper ce ministère, car un bon politique n’est pas forcément un spécialiste des questions dont il a la charge. Ce qui importe, c’est de savoir écouter, comprendre et décider. Il faut savoir comprendre les professionnels de santé. Comprendre par exemple qu’ils ont fait de très longues études pour arriver là où ils sont. Une approche technocratique est gage d’incompréhension mutuelle. Un médecin doit comprendre son patient pour poser un diagnostic, le ministre de la Santé doit être un peu le médecin des médecins. »

• Roselyne Bachelot : « Les bras de fer font partie du job »

« J’ai vécu 4 ans d’une vie passionnante et passionnée. J’ai eu la chance de mener une réforme majeure du système de santé, la première depuis 1958 ; je ne me suis pas contentée de gérer les affaires courantes ou les crises qui arrivent souvent pendant les congés. Création des ARS, refonte de la gouvernance à l’hôpital, rénovation de la médecine de proximité, tout cela est très valorisant, j’en suis fière. Les bras de fer font partie du job : les partenaires syndicaux défendent leur bout de gras ! En tant que pharmacienne, hussard noir, je m’attendais à du corporatisme, et n’ai pas été déçue.

En revanche, j’ai été irritée de voir tout au long de ce parcours que les corps en face de moi ne faisaient pas de place aux jeunes et aux femmes. Le corps médical avance et pourtant, dans les syndicats, les hommes de plus de 50 ans en sont les seuls représentants !

J’ai eu la chance d’être une professionnelle de santé : cela dégage la route ! Pharmacienne d’un quartier difficile, je n’avais pas une approche énarchique. En tant que scientifique, j’ai pu comprendre les tenants et aboutissants des travaux sur la recherche biomédicale.

Lors de la grippe A, ce fut plus difficile, il y eut une perturbation évidente entraînée par la perspective d’élections professionnelles. Certains syndicats ont instrumentalisé cette crise, mais je n’en ai pas été dupe. J’ai le courage des vieilles troupes : il faut savoir affronter ces choses-là avec flegme et solidité. »

• Dr Élisabeth Hubert : « Il faut être un peu dingue pour être ministre de la Santé »

« Je n’ai pas connu de désamour avec les médecins... et c’est sans doute cela qui a expliqué mes difficultés politiques ! Juppé – il ne s’en est pas caché – estimait que j’étais restée trop proche des professionnels, on me soupçonnait d’un certain parti pris...

Faut-il être médecin pour diriger ce ministère ? Ce n’est certainement pas une obligation sinon il faudrait un prof à l’Éducation nationale, un avocat à la Justice... Cela dit, dans un secteur si exposé, si sensible, le fait d’être médecin présente un sérieux avantage : vous n’êtes pas obligé de prendre systématiquement un avis extérieur avant toute décision. J’ai été confrontée à cette situation quand a éclaté le scandale de l’amiante. Je savais exactement de quoi je parlais. Quand on est médecin, je crois qu’on a aussi un jugement plus rapide et davantage de sang-froid, une forme d’empathie et d’humanisme.

Mais ce poste est très difficile. Le secteur est éclaté, les antagonismes sont exacerbés. Certains professionnels voient midi à leur porte. Je crois qu’il faut être un peu dingue pour être ministre de la Santé... En tout cas, pour réussir, il faut une vision d’ensemble, donner du sens, de la perspective, et non pas se contenter de prendre des mesures qui s’ajoutent les unes aux autres. »

• Jack Ralite : « Tout n’a pas été facile »

« J’ai accepté ce ministère avec un peu d’appréhension mais rapidement l’opinion des médecins s’est retournée. "Le Figaro" s’en est interrogé : quel est ce ministre communiste de la Santé qui séduit les médecins ? Mon atout a été le tour de France que j’ai réalisé en septembre-octobre sur les grands thèmes de la santé. Je me souviens d’une nuit passée à La Pitié-Salpétrière ou d’un déplacement à Sotteville les Rouen pour annoncer l’allégement des lois répressives sur la santé mentale. J’ai rencontré beaucoup de médecins hospitaliers et libéraux pendant ces voyages. Un soir, à Bordeaux après avoir parlé des études médicales, je suis allé rencontrer des médecins libéraux qui faisaient un stage à 100 kms de là. Ils étaient une vingtaine et on a passé une soirée magnifique.

Mais tout n’a pas été facile. Le plus dur a été la suppression du secteur privé à l’hôpital. J’ai été reçu par une pluie de tomates et d’œufs lors d’un déplacement à Caen. Des gens en blouse blanche m’ont accueilli dont une bonne partie n’était pas médecins. Les jeunes étaient les plus durs. Leur rêve était de devenir chefs de clinique mais ils ne voulaient pas handicaper le statut rêvé au nom qu’ils étaient mal payés. Je crois avoir gagné le respect des médecins. Récemment un sénateur médecin entouré de confrères m’a croisé et m’a dit "on s’est bien entendus". Ils ont oublié qu’il y avait eu des conflits. Moi aussi. »

 PROPOS RECUEILLIS PAR C. G., CH. G., C. D., H. S.R.

Source : Le Quotidien du Médecin: 9221