En 1988, la journaliste santé américaine Lynn Payer montrait dans son livre « Medicine and Culture » comment les valeurs culturelles influencent les pratiques médicales. Elle y listait les organes les plus surveillés selon les pays : le cœur allemand, le foie français, les intestins anglais. Des maladies peuvent être inquiétantes dans certaines cultures, insignifiantes ailleurs. Les Allemands disposaient à l’époque de 80 médicaments pour traiter l’hypotension, considérée comme saine chez ses voisins.
Les avancées de la médecine et le poids des sociétés savantes ont amorcé un mouvement de convergence. Mais les cultures nationales pèsent toujours, ne serait-ce que sur l’ordonnance, dont le volume varie fortement d’un pays à l’autre. En 2015, 90 % des consultations de médecine générale en France aboutissaient à une prescription médicamenteuse, versus 72 % en Allemagne et 43 % aux Pays-Bas.
Contrôle pragmatique du Nord
Le volet des antibiotiques révèle de fortes disparités. Leur niveau de prescription demeure en France 30 % au-dessus de la moyenne européenne, loin devant l’Europe du nord et l’Allemagne. Pour les anxiolytiques, les médecins français prescrivent trois fois plus de benzodiazépines qu’en Allemagne ou en Angleterre. Au Royaume-Uni, ces médicaments à risque d’Alzheimer après 65 ans sont très encadrés.
En Europe du nord, les systèmes de soins maîtrisent jusqu’aux boîtes de médicaments délivrées en pharmacie. Pour éviter la surconsommation, les comprimés sont prescrits à l’unité. Si le patient a besoin de six prises, ce sera six pilules et non une boîte de 20, comme en France. « La question du gâchis est très importante dans ces pays », rapporte Zeynep Or, directrice de recherche à l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes).
Une étude récente dans 24 pays, dont 20 États membres de l’Union européenne, plus l’Islande, la Norvège, la Russie et la Serbie, a montré par ailleurs que de nombreux biosimilaires n’étaient pas uniformément accessibles. L’Allemagne est le seul pays dans lequel tous les biosimilaires approuvés étaient disponibles et financés.
De grands écarts en chirurgie
Pour l’organisation des soins, les pays nordiques ont ouvert la voie à la chirurgie ambulatoire, tandis que les pays d’Europe centrale et orientale seraient à la traîne malgré les bénéfices attendus, selon un rapport de 2014 de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
Les contrastes géographiques concernent aussi les soins hospitaliers. Des pathologies similaires sont soignées de façon très différente selon le lieu d’habitation, affirme l’OCDE. Les médecins australiens, canadiens et allemands réalisent davantage d’hystérectomies que leurs confrères français : entre 300 et 400 pour 100 000 femmes sont concernées dans leurs pays, contre 209 en France. L’Hexagone semble également présenter un taux d’arthroplasties du genou plutôt faible : 135 pour 100 000 habitants en 2011 alors que l’Australie, la Suisse, la Finlande, le Canada et l’Allemagne étaient au-dessus de 200 pour 100 000 habitants.
De fortes divergences s’expriment également au sein même des pays, à l’échelle régionale. « Les taux standardisés pour les interventions cardiaques et les interventions du genou sont au moins trois fois plus élevés dans certains départements en France que dans d’autres », pointe l’OCDE.
Le statut socio-économique des patients a un impact sur les soins, affirme l’organisation. Les femmes moins favorisées ont, par exemple, plus de probabilité d’être opérées d’une hystérectomie. Certains territoires ayant une surreprésentation de populations démunies, les besoins peuvent transparaître sur les cartes de l’activité hospitalière.
D’après l’OCDE, de telles variations suggèrent « soit que des soins inutiles sont dispensés dans des zones de forte activité, soit qu’il y a des besoins non satisfaits dans des zones de faible activité. Ces variations soulèvent des questions quant à l’efficience et l’équité du système de santé ».
L’Atlas des variations de pratiques médicales corédigé par l’Irdes, le ministère de la Santé et l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation résume ainsi : « lorsqu’elles ne sont pas justifiées par le besoin des patients, les variations de pratiques médicales posent un problème de nature éthique, thérapeutique et économique ».
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