Le projet HSEMsensi, qui explore l’hypothèse physiopathologique d’un hyperfonctionnement du système nerveux chez les sujets électro-hypersensibles, est une première en France dans un domaine encore mal balisé par la science, et très douloureux pour ceux qui en souffrent.
La notion d’hypersensibilité électromagnétique (HS-EM) est en effet controversée, car elle repose sur les déclarations des patients. Les premiers se sont manifestés dans les années 1990, en incriminant les écrans cathodiques, appareils électroménagers, et lignes à haute tension. Puis le concept a été rapproché de celui d’hypersensibilité aux odeurs chimiques (HSOC) sous l’impulsion de l’organisation mondiale de la santé (OMS) en 2004, qui a préféré le terme générique d’intolérances environnementales idiopathiques (IEI).
Malgré ces changements conceptuels, les symptômes d’hypersensibilité aux champs électromagnétiques ou aux odeurs chimiques, mais aussi ceux de la fibromyalgie, du syndrome de fatigue chronique, ou de la guerre du golfe, demeurent médicalement inexpliqués. « En tant que médecins, nous sommes désemparés face à une symptomatologie peu spécifique : fatigue, symptômes cutanés sur le visage, sensation de lourdeur dans la tête, irritation oculaire, obstruction nasale, céphalées, difficultés de concentration », explique le Pr Gérard Lasfargues, médecin interniste au CHU de Tours et directeur général adjoint scientifique de l’ANSES. Les recherches peinent à trouver des associations significatives entre symptômes et exposition aux champs électromagnétiques. Aucun marqueur susceptible de fournir une explication biomédicale ne fait consensus. Il n’existe pas de protocole de prise en charge validé.
À la recherche de mécanismes neurologiques
L’étude du système sensitif des patients, menée par Jean-Pierre Marc-Vergnes, ancien chef de clinique et chercheur à l’INSERM, identifiera-t-elle un marqueur neurologique ? L’hypothèse de départ, inspirée de précédentes études*, est que les personnes hypersensibles auraient un dysfonctionnement de leur système sensitif, soit central (caractérisé par un hyperfonctionnement des aires corticales) soit périphérique (baisse du seuil de perception cutané du courant électrique). Une seconde hypothèse, à savoir que les hypersensibles aux odeurs chimiques n’ont pas les mêmes caractéristiques cliniques et physiopathologiques que les personnes souffrant des champs électromagnétiques, contrairement à ce que suppose l’OMS, sera aussi examinée.
« Mon protocole est de comparer les sensibilités périphériques et centrales, les symptômes fonctionnels et l’exposition aux radiofréquences », explique Jean-Pierre Marc-Vergnes. Le chercheur devrait inclure (à partir de janvier 2013 et pour quinze mois) 30 hypersensibles aux champs électromagnétiques (HS-EM), 30 intolérants aux odeurs chimiques (HS-OC) et 30 témoins, issus de l’hôpital Cochin, du CHU de Nantes, et de celui de Toulouse. Il mènera des comparaisons en termes de critères cliniques, d’exposition mais aussi de sensibilité mesurée à l’aide d’un Neurometer et d’épaisseur corticale des aires évaluée via l’IRM.
« L’originalité de mon étude est d’étudier les dysfonctionnements à la fois au niveau périphérique et central. De plus, je fais une comparaison entre les hypersensibles électromagnétiques, et les hypersensibles aux odeurs », explique le Dr Marc-Vergnes au « Quotidien ». Une précédente étude sur l’hypersensibilité a été lancée début 2012 par le Pr Dominique Choudat du CHU de Cochin, non sans controverse. Elle prévoit le suivi d’une centaine de patients pendant un an, avec une prise en charge globale, comprenant notamment une thérapie cognitivo-comportementale. « À la différence de cette étude, le projet HSEMsensi ne suppose pas de prise en charge thérapeutique pendant 1 an. Il se positionne d’un point de vue physiopathologique et intègre des sujets qui souffrent d’hypersensibilité aux odeurs chimiques et des témoins », précise le neurologue.
Temps long de la science
« Cette recherche sur les mécanismes de l’hypersensibilité est très utile. Il faut également que des études cliniques et épidémiologiques se penchent sur les symptômes pour mieux les caractériser et élaborer des prises en charge personnalisées », commente le Pr Lasfargues.
Les associations d’hypersensibles sont, elles, impatientes. La présentation de l’étude du Dr Marc-Vergnes, membre du comité de dialogue de l’ANSES « radiofréquences et santé », bénéficiant du financement de l’ANSES issu de la taxe parafiscale des opérateurs, a reçu un bon accueil. Ce ne fut pas le lot de toutes. « J’attendais un certain nombre de réponses, je repars avec beaucoup plus de questions », ont répété plusieurs personnes du public, à l’issue du colloque.
* Schröttner et al. pour périphérique, 2007 et Landgrebe et al., 2008, pour central
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