Alors que la campagne de rappel bat son plein avec la cinquième vague épidémique de Covid-19, le Pr Alain Fischer, président du Conseil d’orientation de la stratégie vaccinale (COSV), salue l'effort des professionnels de santé et encourage les médecins à vacciner à leur cabinet, y compris les spécialistes.
LE QUOTIDIEN : La campagne de rappel a démarré en France en septembre pour les personnes les plus à risque avant de s'étendre à tous les adultes le 27 novembre. Comment qualifiez-vous ce début de campagne ?
Pr ALAIN FISCHER : La campagne avance bien : plus de 12 millions de personnes ont reçu une dose de rappel et le taux de couverture vaccinale dépasse les 75 % parmi les personnes ultraprioritaires. Il faut poursuivre les efforts déjà réalisés par les professionnels de santé, malgré la fatigue. On leur demande déjà beaucoup et je leur tire mon chapeau. Mais comme toujours avec ce virus, c'est une course de vitesse : plus il y a de vaccinateurs, plus il y aura de personnes vaccinées.
Actuellement, 20 000 médecins généralistes vaccinent à leur cabinet, et certains vaccinent en centre. Cela veut dire qu'il y en a beaucoup qui ne vaccinent pas. Je comprends les difficultés et les contraintes, mais dans le contexte actuel, avec une vague forte et alors que l'on sait l'importance de la vaccination pour enrayer les hospitalisations, ce serait formidable que davantage de médecins suivent leurs collègues, la campagne pourrait aller plus vite. Je fais appel aux médecins généralistes bien sûr, mais aussi aux spécialistes qui pourraient vacciner leurs patients fragiles.
Pour encourager les médecins à s'engager, nous discutons d'un système de commande ultrasimplifié qui leur permettrait de se fournir auprès de leur pharmacie sans avoir à passer commande au préalable.
L'arrivée du variant Omicron change-t-elle la donne ?
C'est au contraire une raison supplémentaire de recevoir une dose de rappel sans attendre, car ce variant plus contagieux représente une menace, même si nous manquons encore d'information. Concernant la vaccination, nous ne disposons que des données concernant les anticorps neutralisants - sans qu'ils ne reflètent exactement la protection clinique : ils montrent une efficacité, même si elle est moindre.
Quant à l'éventualité d'une quatrième dose avec un vaccin adapté à Omicron, c'est un scénario possible, mais il faut attendre de voir si le variant va s'implanter en France.
Est-il envisagé de rendre obligatoire la dose de rappel aux professionnels de santé, comme c'est déjà le cas pour la primovaccination ?
Nous sommes dans une phase croissante de la vaccination de rappel. L'obligation de la primovaccination a été envisagée dès lors que la couverture stagnait. Si on observe le même phénomène avec le rappel, l'obligation pourrait être discutée.
L'Agence européenne des médicaments a indiqué être favorable pour le rappel à un délai de trois mois après la primovaccination. Sur quelles données s'appuie la campagne en France ?
Le délai de cinq mois choisi en France s'appuie sur les très bons résultats d'efficacité et de sécurité provenant d'Israël où la campagne de rappel a été lancée cet été avec un délai de cinq mois après la primovaccination. Les Anglais, qui vaccinent moins qu'en France, ont opté pour un délai de trois mois. Pour le moment et pour des raisons pratiques, il ne me semble pas justifié de raccourcir le délai en France.
Les données israéliennes montrent que la dose de rappel est extrêmement efficace par rapport à la primovaccination. Les récents résultats portant sur la mortalité en attestent (réduction de 90 % de la mortalité dans le groupe ayant reçu le rappel cinq mois après la primovaccination, NDLR).
Pour la campagne de rappel, la France propose les deux vaccins à ARNm, celui de Pfizer-BioNTech et celui de Moderna. Sont-ils interchangeables ?
Nombre de personnes ayant été primovaccinées avec le vaccin de Pfizer veulent une dose de rappel avec ce même vaccin. Mais cela n'a pas de sens, car les deux vaccins à ARNm dont nous disposons sont excellents et sûrs et peuvent être utilisés sans distinction comme l'ont montré des études. C'est un point important, car désormais, nous disposons davantage de vaccins de Moderna que de Pfizer.
Chez les 12-17 ans, la dose de rappel est déjà recommandée pour les plus à risque de forme sévère. Est-il envisagé d'élargir la campagne à tous ?
En dehors des plus fragiles, il n'y a pas de raison de se précipiter. De façon nette, il a été constaté que l'immunité restait stable dans cette population alors qu'elle décline chez les adultes.
Et concernant les plus jeunes, de 5 à 11 ans, êtes-vous favorable à la vaccination de tous ?
Dans les jours qui viennent, la vaccination des enfants à risque va s'ouvrir, ce qui est totalement justifié. En revanche, la situation est plus nuancée pour les autres enfants. Trois arguments principaux sont en faveur de la vaccination : la protection contre les formes graves, même si elles sont rares ; le fait d'éviter la fermeture des classes en contexte de circulation élevée du virus ; et le fait de ralentir l'épidémie, alors que les enfants, la seule population non vaccinée, représentent une source de contamination dans la population générale.
L'efficacité du vaccin Pfizer avec une dose réduite de 10 μg a été démontrée dans le cadre d'un essai clinique, mais la question de la sécurité n'est pas encore résolue, l'essai n'ayant porté que sur 1 500 patients. Nous attendons les données des États-Unis qui ont commencé à vacciner la population pédiatrique dès début novembre. Nous devrions avoir davantage d'information sous 15 jours, notamment sur le risque de myocardite et de péricardite. Si les données sont rassurantes, alors il sera légitime de commencer la vaccination des 5-11 ans, en expliquant aux familles et aux pédiatres le bien-fondé de cette vaccination.
C'est le sens de l'avis du COSV paru le 6 décembre : nous sommes favorables à la vaccination des jeunes enfants, sous réserve des conditions de sécurité. Nous attendons également l'avis du Comité consultatif national d'éthique la semaine prochaine.
Alors que certains pays comme l'Allemagne et l'Autriche ont fait le choix de l'obligation vaccinale pour tous, quelle est votre position à ce sujet ?
Le principe de l'obligation vaccinale n'est pas choquant. L'obligation fait partie des mesures de santé publique qui peuvent être envisagées, car la vaccination est une affaire collective, pas individuelle.
En Allemagne et en Autriche, la situation est moins favorable qu'en France, et de mon point de vue, l'obligation vaccinale n'est pas d'actualité en France, où on estime à 6 millions le nombre de non vaccinés parmi la population éligible. Et la moitié ne le sont pas, car ce sont des personnes très isolées, malades ou précaires. Pour ceux-là, l'obligation ne changera rien. Nous continuons les mesures d'aller vers pour toucher ces populations spécifiques.
Sur le plan éthique, les campagnes de rappel dans les pays riches ont été décriées alors que la couverture vaccinale reste largement insuffisante dans de nombreux pays faute de vaccins. Qu'en pensez-vous ? Êtes-vous favorable à la levée des brevets pour endiguer cette situation ?
Je considère qu'il est éthique de faire une campagne de rappel en France à partir du moment où nous sommes dans une situation à risque, car cela sauve des vies. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas faire des efforts par ailleurs. La levée des brevets est une mesure parmi d'autres, et j'y suis favorable à titre personnel, mais les discussions bloquent à l'Organisation mondiale du commerce en raison de la réticence des Anglais et des Allemands. C'est un enjeu majeur, car tant que le virus circulera dans le monde, il y aura des risques de nouveaux variants.
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