Un groupe de quatre scientifiques*, mené par le pédiatre Kim Mulholland, membre du Groupe stratégique consultatif d’experts (SAGE) sur la vaccination de l'OMS, s'inquiète d'une flambée de rougeole en 2021 du fait des conséquences de la crise sanitaire liée au Covid-19 sur l'accès à la vaccination. « Au cours des prochains mois, on assistera probablement à une augmentation du nombre d’enfants non vaccinés vulnérables à la rougeole, beaucoup vivant dans des communautés pauvres et isolées où les systèmes de santé sont moins résilients », alertent-ils dans le « Lancet ».
Le 6 novembre, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et le Fonds des Nations unies pour l'enfance (UNICEF) ont déjà lancé « un appel urgent à l'action pour éviter des épidémies majeures de rougeole et de polio alors que le Covid-19 continue de perturber les services de vaccination dans le monde entier ».
Une augmentation des cas depuis 2016
L'épidémie de Covid survient dans un contexte de résurgence de la rougeole, avec une augmentation des cas depuis 2016. D'après l'OMS, « le nombre de cas recensés en 2019 a atteint son plus haut niveau depuis 23 ans », avec 869 770 cas dans le monde.
La pandémie a d'abord mis un frein à cette augmentation : elle a entraîné une baisse des cas en 2020 comme le montrent les données de surveillance des six premiers mois. Pour les auteurs, « ce phénomène est probablement lié à la réduction de la transmission des virus respiratoires attribuable aux mesures de lutte contre le Covid et à la réduction des déplacements au sein des pays et à l’étranger ».
Il reste qu'au début de la crise, les campagnes de vaccination ont été interrompues et les services de santé fortement perturbés dans de nombreux pays, avant que des modélisations tendent à montrer que le risque lié au retard vaccinal dépasse celui lié au Covid. « Depuis mars, la plupart des pays ont repris la vaccination systématique et relancé les campagnes de prévention et de riposte aux flambées pour réduire le nombre d'enfants exposés à la rougeole et à d'autres maladies évitables par la vaccination », constatent les auteurs. Mais l'OMS estime qu'« en novembre, plus de 94 millions de personnes risquaient de ne pas être vaccinées comme prévu à cause de l’interruption des campagnes de lutte contre la rougeole dans 26 pays. »
Un appel à des efforts concertés
La pandémie est ainsi venue aggraver davantage une situation déjà fragilisée par une couverture vaccinale insuffisante dans de nombreux pays. La rougeole étant une maladie hautement infectieuse (taux de reproduction estimé à 12-18), une couverture vaccinale d'au moins 95 % est requise pour atteindre l'immunité collective. Or, selon l'OMS, le taux de couverture de la première dose n'excède pas les 84-85 % depuis dix ans et celui de la deuxième dose n’est que de 71 %.
Au-delà de l'accès à la vaccination, la crise sanitaire actuelle favorise la malnutrition dans les populations les plus démunies. Or, s'inquiètent les auteurs : « La malnutrition, associée à la suppression immunitaire liée à la rougeole, entraîne une mortalité différée, tandis qu'une carence en vitamine A coexistante peut également conduire à la cécité associée à la rougeole. »
L'ensemble de ces facteurs représente un environnement propice au retour de la rougeole en 2021, « avec une mortalité accrue et des conséquences graves de la rougeole qui étaient courantes il y a plusieurs décennies », craignent les auteurs.
Ils appellent à des efforts concertés pour empêcher cette situation, qui passent notamment par un soutien aux pays pour vacciner l'ensemble des enfants. Les pays doivent également se préparer à faire face aux flambées de rougeole. L'appel de l'OMS et de l'UNICEF vise à récolter des fonds, en complément du soutien financier du Gavi, l'Alliance du Vaccin.
« Enfin, la communauté internationale ne doit pas perdre de vue les objectifs d’élimination de la rougeole et de la rubéole fixés par la stratégie 2021-2030 pour renforcer la vaccination systématique et la surveillance », rappellent les auteurs.
* Kim Mulholland (Murdoch Children’s Research Institute, Royal Children’s Hospital, Melbourne ; Department of Paediatrics, University of Melbourne ; London School of Hygiene & Tropical Medicine, Londres), Katrina Kretsinger (Immunization, Vaccines and Biologicals, OMS, Genève, Suisse), Liya Wondwossen (Human Papilloma Virus Vaccine Technical Assistance, PATH, Addis Ababa, Éthiopie) et Natasha Crowcroft (Immunization, Vaccines and Biologicals, OMS, Genève, Suisse ; Centre for Vaccine Preventable Diseases, University of Toronto, Toronto, Canada)
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