S USPENDU après trois jours d'audience, le 8 mars dernier, le procès aux résonances mondiales que les géants de l'industrie pharmaceutique avaient engagé contre le gouvernement sud-africain aurait dû être purement et simplement classé dès avant-hier mercredi. Mais l'accord amiable entre les parties, annoncé officieusement à Paris par le Syndicat national de l'industrie pharmaceutique (SNIP) s'est encore fait un peu désirer.
Accord imminent, puisque, dans un premier temps, le juge Bernard Ngoepe avait décidé d'ajourner pour quatre petites heures l'audience de mercredi matin. Mais 240 minutes n'auront pas suffi à venir à bout d'un contentieux vieux de quatre ans, à la suite de la promulgation de la loi qui donne pouvoir au ministre sud-africain de la Santé de passer outre les brevets de propriété intellectuelle pour importer, attribuer des licences ou produire des versions à bas prix des médicaments de marque.
Ultimes marchandages
En définitive, le juge a choisi de surseoir jusqu'à hier pour les ultimes « marchandages » - le mot est de Ellen t'Hoen, de Médecins sans Frontières (MSF), qui s'est déjà félicitée de la situation : « Exactement ce pourquoi nous avons fait campagne », a-t-elle commenté.
Cette sortie de crise n'aura pas satisfait les plus radicales des ONG qui espéraient qu'un verdict débouterait définitivement l'industrie.
La plupart des ONG, qui mènent une campagne d'ampleur internationale pour la levée de la plainte des compagnies, crient cependant victoire. Des activistes présents dans le prétoire bondé ont même entamé l'hymne national sud-africain « Nkosi sikhelel' iAfrika » (Dieu bénisse l'Afrique) et lancé le vieux cri de guerre de la lutte anti-apartheid : « Amandla ! » (pouvoir).
Le secrétaire général de la puissante centrale syndicale COSATU, Zwelinzima Vavi, s'est écrié : « Nous sentons l'odeur de la victoire ! »
Plus circonspecte, la ministre sud-africaine de la Santé, Manto Tshabalala-Msimang a confié à l'AFP : « Le verre peut toujours se casser au dernier moment, alors vous ne pouvez pas dire que je suis optimiste. »
Quoi qu'il en soit, « personne, ni le gouvernement ni nous-mêmes, ne remporte dans cette affaire une victoire à la Pyrrhus », souligne Jean-Jacques Bertrand. Le président du SNIP ne se départit pas de son amertume face à ce procès qui restera « pour l'industrie un désastre médiatique où l'on a voulu mettre en jeu l'argent contre la vie humaine ». Les ONG n'auront eu de cesse, en effet, d'accuser les multinationales de faire passer leurs profits avant le droit à la vie des millions de malades des pays pauvres.
Un mauvais procès, s'indigne le Dr Robert Sebbag, attaché des hôpitaux, directeur de la communication d'Aventis Pasteur et président de TULIPE (Transferts d'urgence de l'industrie pharmaceutique, fondé par le SNIP). « On s'est focalisé sur le rôle du seul médicament, alors qu'il ne représente qu'un acteur parmi beaucoup d'autres dans la lutte contre l'épidémie. Les trithérapies nécessitent en effet qu'on puisse faire des charges virales complexes chez les patients, ainsi que des dosages et des typages des populations lymphocytaires. Il faut aussi être à même de traiter les maladies opportunistes. Et se pose la question de l'observance du traitement. »
Une question juridique et une affaire de santé publique
Or, pour le Dr Yves Juillet, qui préside la Task Force « Médicament et tiers monde » au sein du SNIP, « il convient de dissocier deux questions : l'une, juridique, porte sur le principe de la protection des brevets ; l'autre, qui est affaire de santé publique, réside dans la mise à disposition des populations de médicaments fournis aux niveaux de prix les plus bas ». A cet égard, l'effet Pretoria aura été sans doute payant pour les populations des pays en voie de développement. C'est ainsi que, depuis le mois dernier, la firme Meck & Co a significativement baissé les prix de Crixivan (indinavir) et de Stocrin, à respectivement 600 et 500 dollars par patient et par an pour les malades du tiers-monde. Abbott a annoncé fin mars la baisse de prix de ses médicaments anti-SIDA en Afrique, après une négociation avec chaque pays qui en a fait la demande. Le Kaletra (lopinavir/ritonavir), le Norvir (ritonavir), de même que le test Determine HIV-1/2, sont vendus à prix coûtant. Roche n'est pas en reste sur ce terrain, avec des programmes lancés depuis plusieurs années (Blue Sky, Share) et la mise en place, tout récemment, d'une politique de prix préférentiels de ses médicaments (Fortovase et Viracept) avec une réduction de prix très significative qui a été communiquée à l'ONU.
Un rôle crucial
L'ONU, dont le secrétaire général a rencontré au début avril, à Amsterdam, les dirigeants des principales compagnies pharmaceutiques mondiales. « L'industrie pharmaceutique joue un rôle crucial, avait souligné Kofi Annan. Nous devons associer les encouragements à la recherche et à l'accès aux médicaments pour les pauvres. La protection de la propriété intellectuelle est essentielle pour mettre au point les médicaments, vaccins et produits diagnostiques nouveaux qui sont nécessaires de toute urgence pour la santé des populations les plus pauvres du monde. »
C'est dans cet esprit que l'ONU, relayée par l'Organisation mondiale de la santé, a décidé d'apporter son soutien à l'accord sur les ADPIC (Aspects de la propriété intellectuelle qui touchent au commerce), dits TRIPS, conclus dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce. Cet accord permet aux Etats de prévoir dans leurs législations des licences obligatoires maintenant un équilibre entre l'intérêt public - les impératifs liés à la santé publique - et les droits du titulaire du brevet.
L'article 31 des TRIPS formule les conditions pour la délivrance de ces licences obligatoires, qui nécessitent la recherche d'un accord préalable avec le laboratoire détenteur du brevet.
C'est cet article qui aurait fourni le cadre de l'issue amiable au procès de Pretoria grâce, en particulier, à la médiation du secrétaire général de l'ONU.
Kofi Annan aura l'occasion d'y revenir dès la semaine prochaine, à Abuja (Nigeria), dans le cadre du sommet de l'Organisation de l'unité africaine, avec un discours sur l'impérieuse mobilisation de tous les partenaires dans la lutte contre le SIDA, rappelant ce qu'il déclarait à Amsterdam : « La solution n'appartient pas exclusivement aux compagnies pharmaceutiques. »
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