Si « Le Généraliste » était paru en 1900

Au bain, les téléphonistes !

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Publié le 19/09/2016
Histoire

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M. le ministre du Commerce vient d’avoir une idée de génie qui, probablement, lui a été suggérée par M. le sous-secrétaire d’État aux Postes : celle de faire baigner chaque téléphoniste femme dès qu’elle se sent fatiguée par les abonnés, qui sont tous grincheux…

D’aucuns pensent, tout en étant fort mal inspirés, que c’est là peut-être une mesure d’hygiène dirigée plutôt contre les infections d’un certain organe que contre le surmenage cérébral de la seconde moitié du genre humain (en ces temps d’Exposition, les microbes inférieurs sont extraordinairement vivaces !). Mais la majorité des journalistes affirmera certainement, avec nous, que M. Mougeot a eu là, en tout cas, une excellente intention.

Le bain n’étant pas encore entré dans nos mœurs, on agit bien en l’y faisant pénétrer de force, partout où l’on peut, comme la vaccination obligatoire. Mais avouons qu’il aurait mieux valu que ce soient les mères de famille qui fassent baigner leurs filles à domicile, comme cela se pratique partout et tous les jours sans exception aux États-Unis.

Il est, en effet, scabreux ; de confier la surveillance des baignades générales de l’Hôtel des Postes à des gardiens, chamarrés et casqués, mais en réalité des hommes pour la plupart jeunes ? Si nous ne sommes pas de ceux que la pruderie passionne, il nous eût du moins semblé plus prudent de faire baigner ailleurs les jeunes personnes qui passent une partie de leur journée à enfoncer des fiches dans les tableaux téléphoniques.

Mais M. Mougeot n’étant pas tenu à réaliser l’impossible, c’est-à-dire à convaincre les propriétaires parisiens qu’ils ne devraient jamais louer leurs chambres à coucher sans y annexer une salle de bains, à l’instar des appartements américains, félicitons-le d’avoir si élégamment tourné la difficulté, sous prétexte de surmenage cérébral et d’usage obligatoire d’une médication calmante, et d’avoir réussi à envoyer se laver un tas de fillettes et de grandes personnes pour qui l’usage de l’eau était, jusqu’à présent, demeuré comme une pratique… immorale.

À bon entendeur, avis ; et à toute baigneuse, conseil. En enjambant la baignoire, qu’elle songe souvent à autre chose qu’à décongestionner son cerveau !

(Dr Marcel Baudoin, « La Gazette médicale de Paris », 1900)

 


Source : lequotidiendumedecin.fr