Avant la prise de médicaments, l’emprise sectaire

Publié le 23/11/2015
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La prise de substances ne constitue bien sûr qu’une étape ultime, juste avant le passage à l’acte. Impossible d’aborder ce processus sans évoquer les mécanismes d’emprise sectaire, confirme au Quotidien le Dr Serge Blisko, président de la MIVILUDES (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) : « On a signalé à juste titre la notion très prégnante de millénarisme et de scénarios de fin du monde dans le conditionnement des jihadistes. Ce sont des notions typiquement sectaires, relève-t-il. Certainement la promesse d’un avenir exaltant et glorifiant, la fascination éprouvée pour une récompense post-mortem jouent-elles un rôle et expliquent-elles, en particulier, la facilité avec laquelle les terroristes pratiquent l’auto-assassinat. »

Fishing

Mais il ne faut pas oublier que plusieurs phases s’enchaînent dans le conditionnement d’un terroriste, à mesure que s’accentue l’emprise : « Les études dont nous disposons confirment bien l’enclenchement d’un engrenage politique, religieux et spirituel analogue à celui que les psychologues étudient de longue date dans les phénomènes sectaires, explique le Dr Blisko. Tout commence par une mauvaise rencontre. C’est la phase du fishing – l’hameçonnage – puis la séduction de l’adolescent. Lors de cette période de profonde transformation de la psyché, une période qui va aujourd’hui de 13 à 25 ans, tout un travail de déconstruction des repères est entrepris. Si le jeune fait du théâtre, ou s’il pratique un sport, on le conduira à y renoncer, comme à des pratiques perverses. Dans le cas des filles, l’exposition du corps va être bannie et les victimes d’abus seront d’autant plus réceptives à cette instruction. En même temps sera amorcé un processus de reconstruction autour de valeurs présentées tout d’abord comme humanitaires, solidaires, fraternelles. On aborde alors le contexte géopolitique propre aux jihadistes. »

Toujours comme dans le cas des dérives sectaires, l’entourage familial joue un rôle crucial. L’absence de père, dans les familles monoparentales est un élément péjoratif, avec la fabrication d’un père mythifié ; tous les dysfonctionnements de la cellule familiale vont être mis à profit par les recruteurs, toutes les fragilités psychologiques renforceront l’emprise. On parle beaucoup, dans le cas des jihadistes, des phénomènes de fratrie ; il y a les frères Kouachi, ou les frères Abdeslam, il y a le cas du petit Younès, frère d’Abdelhamid Abbaoud, recruté et entraîné dès l’âge de 13 ans, mais on voit aussi des situations inverses, où la fratrie éclate, dans l’incompréhension mutuelle. Des études sont aussi en cours sur le rôle joué par les grands-parents qui se substituent à des parents déficients ou absents.

« Les séries de jeunes que nous étudions depuis deux ans sont très diverses et nous restons prudents dans nos analyses », souligne le président de la MIVILUDES.

Ch. D.

Source : Le Quotidien du Médecin: 9452