M EME au téléphone, le sourire du Dr Étienne André est perceptible. Le directeur de collection des éditions Privat (1) attendait depuis longtemps la nouvelle, et lorsqu'on lui lit l'arrêté paru au « Journal officiel » du 3 mai, il savoure son plaisir. Aussi bref qu'il soit, l'ajout au Code de la santé publique est pour lui chargé de sens : « Les supports d'information relatifs à la prévention, à l'éducation pour la santé et au bon usage du médicament » sont désormais intégrés à la liste prévue au deuxième alinéa de l'article L. 569 du Code de la santé publique. En clair, certains livres, cassettes vidéo et autres cédéroms peuvent, depuis une semaine, être proposés à la vente sur les rayonnages des pharmacies françaises.
« Cette décision est le résultat d'une vision plus globale de la politique de santé dans laquelle le pharmacien est considéré comme un acteur omniprésent dans l'environnement du médicament et non pas uniquement sur le médicament », souligne le Dr Étienne André, qui aura été l'un des artisans essentiels de cette décision.
Pas de conflit en vue avec les libraires
« Il ne s'agit pas d'un nouveau business pour la pharmacie, mais plutôt d'un service ajouté. Le marché du livre en pharmacie est un petit marché », insiste-t-il. Et le Syndicat de la librairie française (SLF) ne s'y trompe pas : « La dispersion du marché du livre n'est pas un fait nouveau, constate placidement Jean-François Boehm, secrétaire général du SLF, qui fait aussitôt remarquer que la vente de livres est déjà autorisée dans les graineteries et les stations-essence. Pas question pour lui de critiquer de façon corporatiste cet éparpillement du marché. « Ce qui est important pour nous libraires, souligne toutefois Jean-François Boehm, c'est que la loi Lang sur le prix unique des livres soit effectivement respectée par les pharmaciens. A savoir qu'ils n'accordent pas de remise supérieure à 5 % à leurs clients. »
Aussi nouveau soit-il, ce marché naissant pour l'officine ne semble pas constituer une menace pour le vaste circuit de la librairie.
« De toutes façons, confirme Étienne André, le pharmacien ne fera pas de "chiffre" sur les livres, même si, grâce aux remises que nous leurs consentirons, l'activité sera correctement équilibrée. »
Pour le président de l'Ordre des pharmaciens, qui se réjouit également de l'aboutissement d'une démarche entreprise il y a plusieurs années, la parution du nouvel arrêté est une bonne nouvelle. Bonne nouvelle également pour l'Académie nationale de pharmacie, qui a constamment soutenu le projet aux côtés de l'instance ordinale. « Nous avions depuis longtemps émis le souhait qu'un nouvel outil adapté à une prise en charge globale du patient soit disponible dans les officines. Car, plus l'individu est informé sur sa santé et ses affections propres, plus il est apte à prendre les bonnes mesures concernant son hygiène de vie et à gérer sa santé », explique Jean Parrot, président de l'Ordre des pharmaciens. L'Ordre, qui, en 1998, avait déjà noté que plus de la moitié des pays de l'Union européenne (voir encadré) autorisaient la vente de livres en pharmacie, travaillait depuis plus de trois ans à son officialisation en France. La première proposition faite aux pouvoirs publics prévoyait une labellisation a priori par la profession, se souvient Jean Parrot. Une option rejetée par le gouvernement, qui avait estimé que le choix de l'organisme de labellisation était délicat et que le risque de recours ne pouvait être écarté. « Finalement, explique avec quelques regrets Jean Parrot, et en accord avec les pouvoirs publics, nous avons opté pour une autre solution : tout en définissant précisément le profil des ouvrages autorisés à la vente, nous invitons les éditeurs intéressés par le circuit de l'officine à se rapprocher préalablement du CESSPF (Comité d'éducation sanitaire et sociale de la pharmacie française) afin de s'assurer que leurs ouvrages se situent dans le champ d'application de l'arrêté. »
Autre bémol à la satisfaction ordinale, Jean Parrot « regrette que, sur la liste de ce qui peut désormais être commercialisé en officine, n'apparaissent pas certains dispositifs médicaux ni les compléments alimentaires, " termes récemment apparus dans la réglementation " ».
Enfin, le président de l'Ordre tient à mettre en garde ses confrères : « L'arrêté n'autorise pas les officines à se transformer en " librairies de santé " ; tout débordement et toute diffusion d'informations contraires aux données de la science sont passibles d'actions disciplinaires. »
Un avertissement que ne craignent nullement les éditions Privat qui, dès juillet 2000, avaient imaginé et rédigé la charte des Classiques Santé, destinée à garantir la qualité des livres publiés. Dès cette semaine, elles proposeront à plusieurs centaines de pharmaciens de disposer leurs ouvrages sur les rayonnages des officines. Quant à la concurrence (éditions Masson, Vidal-SEMP...), nul doute qu'elle fourbit déjà ses armes.
(1) Privat édite depuis plusieurs années les ouvrages de la collection Classiques Santé, qui déclinent divers thèmes de prévention et de santé publique (tabagisme, cancer, l'enfant, le bruit...).
En Allemagne, depuis 1994
Sous réserve que les ouvrages aient un rapport direct avec la santé, les pharmaciens allemands ont le droit de vendre des livres dans leurs officines depuis 1994. Comme six autres pays de la Communauté européenne (Angleterre, Danemark, Finlande, Irlande, Pays-Bas, Suède), l'Allemagne aura donc devancé la France en ce domaine. Il est à noter qu'un seul pays, la Suède, a mis en place une procédure centralisée pour assurer la qualité des ouvrages vendus.
En Allemagne, le pharmacien obtient de l'éditeur une marge d'environ 30 %. Les ouvrages sont édités par des éditeurs « professionnels » (l'Association professionnelle des pharmaciens allemands, par exemple), généralistes, ou encore par certains grossistes en médicaments.
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