Dans « Une belle promenade de santé », le Dr Patrick Errard, président de la commission innovation du Medef, voit l’IA comme une opportunité pour sauver un système de santé malade, vieillissant et coûteux. Si les nouvelles technologies bousculent l’exercice, les généralistes ont tout à gagner à être acteurs et à déléguer aux machines, pour se concentrer sur leur plus-value.
Pourquoi l’État doit-il soutenir l’innovation en matière de soins ?
Dr Patrick Errard : Notre système de soins est en proie à un vieillissement structurel, économiquement peu soutenable et qui laisse à la marge une grande partie des patients. On dispose d’ores et déjà aujourd’hui de techniques susceptibles à la fois d’améliorer la qualité des soins et de donner lieu à des économies substantielles. L’accès à tous à ces innovations doit s’imposer, tant au bénéfice de la prévention (pour l'hémophilie par exemple, ou la mucoviscidose grâce aux modifications génomiques), pour améliorer les diagnostics (avec les intelligences artificielles, notamment en cancérologie) que pour la thérapeutique avec les biomédicaments. Si la France veut garder son autonomie sanitaire, il est urgent qu’elle investisse dans ces domaines. N’oublions pas la télémédecine et la télé-expertise, qui vont permettre d’encourager l’ambulatoire et de limiter les coûteux déplacements. Car il faut de sortir de l'hospitalo-centrisme.
Comment imaginez-vous la consultation dans un futur proche ?
Dr P. E. : Le patient du futur s’installera sur un fauteuil doté d’un bras articulé avec un « robot intelligent », capable de lui prendre ses constantes (pouls, tension), de lui pratiquer un ECG automatiquement et de l’interpréter, d’examiner son œil, (tension, vue, fond d’œil), de prendre des images HD grâce à une micro-caméra qui examine le tympan, le fond de la gorge, un bouton ou un naevus sur la peau. Le dispositif comporte aussi un appareil radiographique et un échographe reliés à un dispositif informatique qui permet, sans assistance, d’effectuer et d’interpréter une échographie abdominale, cardiaque ou obstétrique. Dans le cabinet, un appareil miniaturisé dose la plupart des constantes biologiques avec un micro-échantillon de sang. Un tel scénario est imaginable avec des technologies existantes !
Les médecins doivent-ils craindre un tel scénario ?
Dr P. E. : « L’ubérisation » de la médecine remet en question leur mode d’exercice. Elle peut laisser place à des non professionnels de santé sur un certain nombre d'actes. Les médecins doivent être acteurs de ces changements : le déni de réalité est sans doute le risque principal auquel ils s’exposent. Face aux machines, ils vont devoir faire preuve d’humilité, leur déléguer ce qu’elles font avec plus de précision et de sécurité, et se concentrer grâce au gain de temps occasionné sur leur « vraie valeur ajoutée » dans ce nouveau parcours de soins. La qualité relationnelle avec le patient figure ici au premier plan.
Et les généralistes ?
Dr P. E. : Le médecin de famille peut devenir une figure centrale du système de santé pour trois raisons. Tout d’abord, premier contact avec le patient, il est le mieux positionné pour être le chef d'orchestre du parcours de soins. Ensuite, il se trouve à l’avant-poste de la médecine préventive et du diagnostic précoce. Enfin, avec la télémédecine, un généraliste peut rayonner au-delà de son secteur. Je crois en effet beaucoup aux dispositifs à distance comme une réponse efficace aux déserts médicaux.
Quels sont les leviers pour les aider à s’adapter ?
Dr P. E. : Tout d’abord, le modèle économique du système de soins ne doit pas reposer que sur la comptabilité des actes. Pour un généraliste libéral, 25 euros la consultation, c’est trop peu, et cela limite l’engagement personnalisé. Il faut encourager le système forfaitaire, notamment pour les pathologies lourdes, et prendre en compte le résultat et la qualité des soins sur le long terme. Dans cette perspective, le patient doit, avec le médecin, être acteur de sa guérison.
Y a-t-il une surconsommation des soins en France ?
Dr P. E. : Il y a plutôt un problème de « pertinence des soins ». Les Français ont l’illusion de la gratuité, et consultent très facilement leur médecin, ou utilisent les urgences hospitalières pour des situations « gérables » en consultation. De plus, Il est difficile d’opposer une fin de non-recevoir à un patient souffrant du dos, en demande d’un « examen » radiographique, même en sachant qu’une simple radiographie du rachis lombaire ne sert à rien. De même, les arrêts de travail de courte durée, les transports en ambulance et les bilans biologiques de dépistage sont trop souvent prescrits, ainsi que le montre la Cnam dans son rapport “charges et produits”. Il faut donc développer l’éducation à la santé dès le plus jeune âge, et responsabiliser les acteurs de santé dans la juste prescription des soins utiles et pertinents. C’est à ce prix que nous pourrons financer les innovations de demain.
* « Une belle promenade de santé », éditions L’Harmattan, 296 pages, 25 euros
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