Il existe un profond décalage dans la perception des risques des substances consommées par les jeunes : alors que la nouvelle génération a une représentation fortement dégradée du tabac, la nocivité de l'alcool et du cannabis semble minimisée, selon les conclusions de l'étude ARAMIS publiée mardi par l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT).
L'OFDT produit très régulièrement des études quantitatives sur les niveaux de consommation de drogue et d'alcool des adolescents. L'étude ARAMIS (Attitudes représentation, aspirations et motivations lors de l'Initiation aux substances psychoactives) a la particularité d'être une étude qualitative qui interroge le contexte des consommations et les représentations des produits consommés. L'OFDT a pour cela mené une vaste campagne d'entretiens entre 2014 et 2017, auprès de 200 mineurs nés entre 1996 et 2002, enrichie d'observations en direct.
Premier constat : la forte disponibilité des drogues pendant l'adolescence. L'expérimentation est liée à 3 facteurs : la classe fréquentée, le lieu de l'initiation et l'entourage. Il est à noter que le premier contact avec le produit est généralement associé à un souvenir agréable, rigoureusement daté, et raconté de manière scénarisée par les adolescents.
Une première expérience déterminante
Si le premier contact avec l'alcool est souvent déplaisant, semi-contraint dans le cadre d'une fête de famille ; la première cigarette est considérée comme une épreuve nécessaire et désagréable (le terme « dégueulasse » est celui qui revient le plus souvent), un apprentissage visant à éprouver ses limites physiques et à repousser son seuil de tolérance tout en domestiquant la peur de perturbations corporelles. Avec le cannabis, la première expérience est radicalement différente. Considéré comme une « révélation », son premier contact est souvent associé à des moments agréables, selon les témoignages recueillis par l'OFDT.
En ce qui concerne le risque associé à chaque substance, « le tabac est fortement stigmatisé alors que la nocivité de l'alcool ou du cannabis paraissent minimisés ». Une observation qui correspond au constat fait au sein de la consultation jeunes consommateurs (CJC) Trapèze la Sauvegarde du Nord, à Lille, par la sociologue et éducatrice spécialisée Patricia Fruleux. « On n'en meurt pas » est une phrase qui lui revient fréquemment chez ces adolescents principalement adressés par la justice, mais aux profils sociologiques très variés.
Patricia Fruleux note « une incompréhension de l'interdiction de l'usage de cannabis, au regard de l'alcool qui reste pour eux un produit plus dangereux et légal », explique-t-elle. Cette représentation est accentuée par une particularité régionale : « dans le Nord de la France, c'est l'herbe qui est plus consommée que le shit, ce qui accentue son image de produit naturel. »
« Le cannabis fait l'unanimité et touche tous les milieux », confirme la psychologue Élizabeth Rossé, responsable de la CJC Marmottan à Paris. « Le cannabis est perçu comme la substance la moins nocive, ajoute-t-elle, le caractère illégal est minoré par le fait que tout l'entourage du jeune fume. » L'environnement familial joue aussi un rôle. « Les enfants qui consomment du tabac ont souvent des parents fumeurs, donne à titre d'exemple Patricia Fruleux, alors que la consommation de cannabis, chez certains jeunes, s'inscrit dans une volonté de ne pas vouloir consommer de l'alcool car ils ont pu en voir les effets problématiques chez un proche. »
Enfin, l'actualité récente (légalisation du cannabis thérapeutique voire récréatif à l'étranger, et possible contraventionnalisation en France) renforce encore la banalisation du produit. Pour Patricia Fruleux, l'actualité pose le problème de la valorisation du cannabis « par la mise en avant de l'aspect thérapeutique. »
Combattre les représentations
Pour combattre ces représentations, Patricia Fruleux s'appuie sur une étude mettant en avant la toxicité pulmonaire du cannabis au regard du tabac. « Nous essayons de leur faire comprendre que, compte tenu de leur âge et du fait qu'ils sont en pleine croissance, l'impact du cannabis sera encore plus important, poursuit Patricia Fruleux. J'essaye aussi de leur faire prendre conscience de l'impact sur les poumons en évoquant avec eux les difficultés qu'ils rencontrent, ou qu'ils commencent à rencontrer sur le plan sportif. »
« Je leur fais toujours décrire leur propre éprouvé, explique pour sa part Élizabeth Rossé, la représentation positive est souvent une tentative de se conformer à un groupe. Il faut les faire revenir en arrière car, dans le fond, ils savent que c'est illégal et mauvais pour la santé, mais ils se sont fait une représentation pour éviter prendre conscience de la dangerosité du produit. »
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