De notre correspondante
C 'EST souvent à la suite du décès de l'un de ses membres, d'une maladie grave, d'un divorce ou d'une faute grave commise par l'un des siens, que la famille explose. Le médecin qui suit plusieurs de ses membres est alors informé, voire interpellé, par l'un de ses patients, et il se pose la question de sa neutralité, de son silence ou de son éventuelle intervention auprès des autres. La formation initiale du généraliste ne l'ayant pas préparé à gérer cette relation dans des conditions optimales d'efficacité, nombreux ont été les praticiens venus interroger les experts et s'interroger entre eux sur le rôle qui devait être le leur.
Les deux psy invités par les organisateurs les ont surtout aidés à distinguer les problèmes posés, en les faisant parler des cas auxquels ils ont été personnellement confrontés et s'exprimer sur des cas fictifs types, présentés en début de journée. Avec, d'ailleurs, ce premier conseil : faites-vous d'abord expliquer totalement la situation par celui qui veut vous en parler.
Dans le cas de l'inceste, problème souvent cité lors de cette journée, le médecin qui recueille la confidence d'un adulte ou même d'un enfant ne doit pas craindre de l'interroger sur les moindres détails : il en a besoin pour faire la part du fantasme et de la réalité et la victime a également besoin de mettre des mots sur ce qu'elle a subi.
Dans les cas de violence à enfant, le médecin se doit de faire un signalement à la DDASS ou au juge. Généralement au détriment de sa relation avec le parent incriminé, mais la loi et son devoir vis-à-vis de son jeune patient lui en font obligation.
Jusqu'à la lettre anonyme
Plus controversé est cet autre cas cité par les participants : un patient séropositif dit à son médecin qu'il continue à avoir des rapports sexuels non protégés avec sa ou son partenaire, celui-ci ignorant sa séropositivité. Le rôle du médecin est bien sûr de tenter de le convaincre d'utiliser des préservatifs. Mais si le patient persiste, beaucoup de généralistes mettent en avant la non-assistance à personne en danger et préviennent le partenaire soit ouvertement ( « Tant pis si je suis poursuivi pour avoir violé le secret professionnel ») ou indirectement, s'ils l'ont comme patient, par des allusions ou un conseil qui peut passer pour général. Un participant a aussi suggéré... la lettre anonyme, « faute de mieux ». Un moyen terme pour d'autres « secrets de famille », il semble valable de dire : « Si vous ne lui en parlez pas vous-même, je serai obligé de le lui dire ». Les psychiatres ont d'ailleurs remarqué que les secrets familiaux comme l'alcoolisme, la toxicomanie, l'infidélité, étaient souvent des secrets de Polichinelle, et qu'il suffisait parfois que le médecin fasse reconnaître à son patient que les autres sont déjà au courant ou s'en doutent, pour l'amener à leur en parler ( « Quand vous y serez prêt ») et obtenir ainsi des changements spectaculaires.
Carnet d'adresses
Reste alors à savoir si le généraliste a envie de s'impliquer dans ces thérapies familiales en acceptant de jouer le rôle du père que lui confèrent ceux qui se sont adressés à lui, ou s'il préfère passer la main. Mais, de toute façon, c'est à lui qu'il reviendra de conseiller le recours au psychothérapeute qui lui semble le plus adapté. A ce propos, organisateurs et experts de cette journée ont beaucoup insisté sur la nécessité du « carnet d'adresses », qui permet au généraliste de travailler en réseau informel avec d'autres médecins, des psy de différents niveaux ou des juristes, afin de ne pas rester seul face à des situations souvent très lourdes.
Les psychiatres ont insisté sur la nécessité de « réintroduire les membres de la famille absents », demander par exemple à celui qui vient parler spontanément ou à ceux que peut rencontrer le médecin, comment les autres réagissent au drame.
Il apparaît souvent que les personnes les moins apparentes dans une histoire ou dans le discours des autres jouent ou pourraient jouer un rôle clef dans la thérapie familiale. C'est souvent le cas au sujet d'un enfant autiste : la mère semble omniprésente, alors que c'est avec le père, plus effacé, que l'enfant peut nouer une relation privilégiée. Le médecin doit donc « être attentif à tous les membres de la famille impliqués ».
Autre point soulevé par les participants : la « cécité » du médecin. Beaucoup craignent de passer à côté de drames qui se déroulent dans les familles. Un participant a d'ailleurs renforcé cette inquiétude en citant son propre cas. Il suivait depuis trente ans tous les membres d'une famille qui le consultaient régulièrement pour des pathologies courantes. Or la mère est venue lui apprendre que le père était condamné à dix-huit ans d'emprisonnement à la suite de la plainte de sa fille, maintenant âgée de 25 ans : celle-ci avait dénoncé les viols régulièrement subis tout au long de son enfance et jusqu'à ce qu'elle quitte la maison. « Je suis tombé des nues, car je n'ai jamais rien remarqué d'anormal ni sur la fille ni sur le père, et j'aurais pu qualifier cette famille d'harmonieuse », dit ce généraliste.
Avant la crise ?
La question de savoir à quel moment moment doit intervenir le médecin-démineur s'est posée. Lorsqu'il est sollicité par l'un de ses patients, c'est le plus souvent au plus fort de la crise : ce moment peut paraître le plus inconfortable, mais, selon les psychiatres, c'est celui où les défenses sont levées, où apparaissent des manifestations de toutes sortes et où l'on peut aborder directement le problème, ce qui sera plus difficile plus tard. Et doit-on devancer la demande de la famille ? Face à un décès qui se profile ou face à une pathologie lourde, le médecin doit-il gérer la prise en charge des conséquences sur les autres membres de la famille, avant même que ceux-ci développent une dépression ou une autre pathologie de réaction ? La réponse est là encore « S'il le souhaite et s'il s'en sent capable », avec tout de même la mise en garde de ne pas trop s'investir, et cette constatation des psychiatres : le pire n'est pas toujours sûr, et face aux pires situations, les gens réagissent souvent mieux que ce que l'on pouvait craindre, tant est forte cette « résilience » chère à Boris Cyrulnik.
Le symptôme comme levier
Même s'ils ne souhaitent ou ne peuvent s'impliquer dans les conséquences, les généralistes demeurent de toute façon en première ligne des explosions familiales. Pour le Dr Christian Dubois, spécialiste de thérapie familiale systémique (1), « le symptôme est un levier sur lequel les médecins peuvent s'appuyer », et cela d'autant mieux que « les généralistes ont accès à une histoire familiale sur plusieurs générations, que beaucoup de psychiatres mettent longtemps à rassembler ». De son côté, le Dr Hervé Castanet, spécialiste de thérapie familiale psychanalytique (2) a déclaré aux participants : « Les psychothérapeutes d'aujourd'hui, c'est vous, car vous permettez la mise en forme de la plainte et la parole a elle-même des effets ». D'où l'importance de la petite phrase cultivée par certains médecins : « Voulez-vous qu'on en parle ? ».
(1) Thérapie dans laquelle le médecin réunit, ou essaie de réunir, toutes les personnes concernées, même celles présentées comme moins impliquées que les autres, afin de travailler sur les résistances familiales : le psychiatre a alors parfois recours aux informations du médecin de famille pour n'oublier personne.
(2) Le psychanalyste reçoit les différents sujets concernés un par un, car il n'existe pas de psychanalyse de groupe.
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