LE QUOTIDIEN - Le plan Juppé a-t-il modifié durablement la gestion de l'assurance-maladie ?
GILLES JOHANET - C'est un tournant dans la mesure où, pour la première fois, l'Etat s'est impliqué dans l'évolution globale du système de soins et pas simplement dans sa composante financière, comme c'était le cas dans les plans de rééquilibrage précédents. De ce point de vue, il y a eu une approche vraiment nouvelle qui constitue une rupture. Par ailleurs, cette implication s'accompagne d'une démocratisation dans la mesure où le Parlement retrouve une compétence dans ce domaine. C'est un acquis fondamental.
Comment expliquez-vous alors qu'il ait été par la suite si fortement contesté ?
La grosse erreur du plan, que j'ai personnellement dénoncée le jour même de son annonce, c'est qu'il n'aborde pas le corollaire de la maîtrise des dépenses : la restructuration de l'offre de soins. Or la maîtrise sans la restructuration, on ne voit pas très bien comment ça peut marcher. Sa seconde faiblesse n'est apparue que peu à peu : c'est l'absence de valeurs qui sous-tendent le dispositif de maîtrise. La maîtrise pour la maîtrise, ça n'a jamais enthousiasmé, ni mobilisé personne. Elle ne peut être un objectif en soi, c'est ce que nous disons dans le plan stratégique de la CNAM. L'objectif, c'est une démarche de qualité qui doit profiter à tous les assurés et aux praticiens. Et la maîtrise n'en est qu'un sous-produit. Cette absence de fondements en termes de valeurs s'est exprimée par le fait que la maîtrise a été plus comptable que médicale. On ne s'est pas donné le temps de réfléchir. La réforme s'est faite au canon. Paradoxalement, ce qui a fait son succès le premier jour, c'est-à-dire une annonce très forte, très spectaculaire avec l'Assemblée qui applaudissait, a été aussi ce qui a causé sa mort, c'est-à-dire un plan imposé, non débattu, non expliqué. Tout le reste en découle.
Cinq ans après, qu'est-ce qui marche bien et moins bien dans cette réforme ?
Rien. Ce qui marche bien, ce sont les promesses, les perspectives mais je ne peux pas dire que quelque chose issu du plan Juppé aujourd'hui fonctionne bien. Prenez le cas des agences régionales d'hospitalisation, elles ne peuvent avoir leur pleine portée que s'il y a une politique nationale hospitalière dans laquelle on retrouve cette dimension restructurante que j'évoquais tout à l'heure. Pour donner un sens à la loi de financement de la Sécurité sociale, qui est un outil positif, il faut des lois d'orientations sanitaires pluriannuelles. C'est comme ça que le Parlement, l'assurance-maladie, les professionnels peuvent avoir une visibilité. C'est pour cela que je dis que le plan Juppé n'est encore qu'une promesse. Ce sont des outils, des procédures qui auront un sens dès lors qu'ils seront remis ensemble au service d'un objectif de réforme.
En matière de maîtrise des dépenses de soins de ville, on semble aujourd'hui revenu à la case départ. Le plan Juppé a-t-il totalement échoué à instaurer un dispositif durable de régulation de ces dépenses ?
Pas complètement. Au fond, il a fait progresser, aux forceps, la prise de conscience de la nécessité de la maîtrise. La conjoncture économique difficile y a contribué. Aujourd'hui, cette prise de conscience semble se relâcher parce que la situation économique est plus facile. J'ai d'ailleurs entendu l'une des plus hautes personnalités de l'Etat expliquer que maintenant que la conjoncture était bonne, la maîtrise n'était plus nécessaire. Ce qui est parfaitement logique quand on a une appréhension purement comptable de la maîtrise et parfaitement illogique quand on est dans une démarche de qualité des soins. La recherche de la qualité et de l'utilité des soins est indépendante de la conjoncture économique. En ce sens, la maîtrise médicalisée est plus contraignante que la maîtrise comptable car elle est permanente.
Le plan Juppé a été présenté comme la dernière chance de sauver un système d'assurance-maladie solidaire. Peut-on dire aujourd'hui qu'il y est parvenu ?
Il a constitué au moins une réponse temporaire. Mais la question reste d'actualité dans la mesure où, je le répète, le problème majeur de la logique du système de soins reste entier. La question du maintien d'un système solidaire se pose donc toujours.
Cinq ans après, quelles leçons peut-on en tirer pour l'avenir ?
A mon avis, la meilleure leçon qui en a été tirée, c'est la mise en place d'un comité des sages. A condition qu'il introduise un véritable débat. J'y crois très profondément car on ne fera pas l'économie d'une remise à plat du système. C'était ça le péché originel du plan Juppé. Mais c'est une affaire de longue haleine. Alors commençons tout de suite. Nous, on a proposé une problématique dans le plan stratégique. Ce n'est pas la seule, il y en a sûrement d'autres. On sera extraordinairement attentifs et positifs dans cette démarche.
Hôpitaux, Sécu, médecine de ville : les ordonnances ont cinq ans
Gilles Johanet : le plan Juppé n'est encore qu'une promesse
Publié le 23/04/2001
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Propos recueillis par Céline ROUDEN
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Source : lequotidiendumedecin.fr: 6904
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