L E Sénat doit examiner à partir de demain le projet de loi sur l'interruption volontaire de grossesse et la contraception, adopté en première lecture par les députés, qui prévoit notamment l'allongement du délai légal de 12 à 14 semaines d'aménorrhée. Dans cette optique, l'ANAES a élaboré des recommandations* pour la prise en charge de l'IVG jusqu'à 14 semaines. Ce travail (voir encadré), coordonné par le Pr Alain Durocher, porte sur les méthodes à utiliser selon l'âge gestationnel, mais aussi sur les structures nécessaires, les conditions d'accueil et d'organisation.
Les structures d'accueil
Cela va sans dire, mais encore mieux en le disant : les structures de prise en charge « doivent être en nombre suffisant dans chaque département pour permettre l'accueil correct et dans des délais rapides de toutes les demandes » ; elles doivent fonctionner chaque semaine, sans interruption, pendant toute l'année (on sait que la période des grandes vacances est toujours difficile en la matière).
Jusqu'à 12 semaines d'aménorrhée (SA), comme c'est le cas actuellement, les structures d'IVG sont soit intégrées dans un établissement de soins ayant un service de gynécologie-obstétrique, soit en convention avec un établissement disposant d'un plateau technique permettant de faire face à toutes les complications éventuelles. Au-delà de 12 SA, les IVG doivent être prises en charge dans une structure disposant d'un plateau technique chirurgical. Dans tous les cas, le centre d'accueil des IVG doit disposer au sein de l'établissement d'au moins un échographe avec sonde vaginale.
On ne parle plus, négativement, de clause de conscience, mais, positivement, de « projet de service auquel adhèrent tous les membres du personnel qui participent à cette activité ». Un personnel qui doit bénéficier d'une formation spécifique.
L'accueil et l'organisation
Pas de temps perdu : toute patiente demandant une IVG doit obtenir une consultation dans les 5 jours qui suivent, car plus l'IVG intervient précocement pendant la grossesse et plus le risque de complications est faible et plus le choix de techniques utilisables est large. Le service doit disposer d'une ligne téléphonique dédiée à la seule activité IVG, dont le numéro sera largement diffusé. Pas de structure d'avortement cachée : l'accueil et le secrétariat, capables de renseigner et orienter précisément les femmes, seront signalés avec précision à l'entrée et à l'intérieur de l'établissement de soins.
Autre souhait de l'ANAES : sauf cas exceptionnel, l'IVG doit être réalisée en ambulatoire ou en hôpital de jour (séjour inférieur à 12 heures).
Les consultations pré-IVG
La patiente doit être informée de façon claire et précise sur la procédure et les choix possibles (méthode médicamenteuse ou chirurgicale, anesthésie locale ou générale) ainsi que sur le temps de réflexion (le délai de réflexion pourra être raccourci à partir de 12 SA). Une information orale accompagnée éventuellement de documents d'information écrits. Avant ou à côté de la consultation médicale, la patiente doit pouvoir bénéficier d'un entretien d'information, de soutien et d'écoute, avec un professionnel qualifié pour cet accompagnement et pour l'identification de difficultés psychosociales.
On peut, on doit sans doute profiter de la circonstance pour proposer, « selon le contexte clinique », un dépistage de MST, dont l'infection à VIH, et des frottis cervico-vaginaux. Le praticien tentera de comprendre les raisons de l'échec ou de l'absence de contraception et abordera la question de la contraception ultérieure.
Dans tous les cas, on fera un groupe sanguin Rhésus et une recherche d'agglutinines irrégulières.
Les techniques d'IVG
Les experts de l'ANAES précisent les techniques et les dosages à utiliser selon l'âge gestationnel, en indiquant que le choix doit être laissé autant que possible à la patiente.
- Jusqu'à 7 SA révolues (49 jours), la technique chirurgicale (dilatation du col, précédée d'une préparation cervicale médicamenteuse, et évacuation du contenu utérin par aspiration) comme la technique médicamenteuse (association mifépristone et prostaglandines) sont utilisables. La première expose à un risque d'échec inférieur, mais le risque d'échec est plus important à cet âge gestationnel que plus tardivement ; la deuxième est utilisable à domicile (avec un certain nombre de précautions, qui sont détaillées) ou en hospitalisation.
- La 8e et la 9e SA (de 50 à 63 jours), la technique chirurgicale est la technique de choix ; si la patiente préfère la technique médicale, celle-ci doit être réalisée en milieu hospitalier.
- De la 10e à la 12e SA (de 64 à 84 jours), et aux 13e et 14e SA, la technique chirurgicale est la technique de choix particulier.
La prise en charge de la douleur
L'efficacité des traitements antalgiques proposés dans l'IVG a été peu évaluée, ce qui est d'autant plus regrettable que la méthode médicamenteuse est responsable de douleurs modérées à sévères chez plus de 50 % des femmes. De même, dans les avortements par aspiration, un tiers des patientes souffrent de douleurs sévères qui ne peuvent être prévenues par l'anesthésie locale par bloc paracervical, mais peuvent être diminuées par l'injection de lidocaïne intracervicale au niveau de la région isthmique. On connaît les facteurs de risque de survenue d'une douleur intense : jeune âge, peur de l'acte, utérus rétroversé, antécédents de dysménorrhée, grossesses les plus précoces et les plus avancées ; cela peut être l'indication d'une anesthésie générale, le choix revenant à la patiente.
Les suites de l'IVG
Une contraception estroprogestative peut être commencée dès le lendemain de l'IVG ; la pose d'un dispositif intra-utérin est possible lors de l'examen de surveillance ou en fin d'aspiration en cas d'IVG chirurgicale. Une fiche de conseils sur les suites de l'IVG sera remise à la patiente, ainsi qu'un numéro de téléphone à appeler en cas d'urgence.
La visite de contrôle aura lieu entre le 14e et le 21e jour suivant l'IVG, avec contrôle de la vacuité utérine par examen clinique et éventuellement échographie et vérification de la compréhension de la contraception et de sa bonne utilisation. Un accompagnement psychologique doit être possible.
Ayant constaté, au fil de son travail, le manque d'un certain nombre de données, l'ANAES souhaite pour terminer des études sur la comparaison des deux techniques, sur la prise en charge de la douleur, sur l'intérêt à long terme d'une antibioprophylaxie ou d'une antibiothérapie au cours de l'IVG, enfin sur le retentissement psychologique de l'avortement. Et, bien sûr, les IVG doivent être déclarées et faire l'objet d'un recueil national, les données étant accessibles aux professionnels.
Reste à savoir si le gouvernement - qui a fait d'une meilleure prise en charge de la contraception et de l'avortement une priorité - et les institutions hospitalières donneront les moyens nécessaires.
* Ces recommandations sont téléchargeables gratuitement à partir du site Internet de l'ANAES, www.anaes.fr, rubrique « Publications », spécialité « gynécologie-obstétrique ».
Le groupe de travail
Les recommandations sur la prise en charge de l'IVG ont été faites à la demande de la direction générale de la Santé en associant l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé et diverses associations et sociétés concernées, représentant les centres d'IVG, les sages-femmes, les généralistes, les gynéco-obstétriciens, le planning, les anesthésistes-réanimateurs... L'ANAES a constitué un groupe de travail regroupant des personnes de diverses compétences, en tenant compte de la parité du mode d'exercice (spécialistes et non-spécialistes en CHU ou CHG, spécialistes ou généralistes libéraux) et de la répartition géographique.
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