Exerçant aujourd’hui en solo à Paris, le Dr Liliane M a été professeur de philosophie dans une première vie avant de « virer en médecine ». Poursuivant une longue psychanalyse depuis plus de trente ans, elle se dit très orientée sur la thérapie et le côté psychologique de la relation avec les patients.
Quels personnages de médecins rencontrés au cours de vos lectures ont pu influencer votre pratique ?
En tout cas, je ne vous citerai pas " La Maladie de Sachs ". Je ne veux pas en entendre parler ni y faire référence. Pourtant beaucoup de copains m’ont dit se retrouver dans ce livre mais moi pas du tout. C’est vrai que Sachs est un homme et moi et moi une femme. C’est peut-être pour ça que je n’accroche pas.
Vous êtes néanmoins une fervente lectrice de romans. Y avez-vous trouvé des personnages dignes d’inspiration ?
Je suis une lectrice de romans impitoyable ! J’en lis beaucoup et peut-être même trop. Parmi mes lectures marquantes passées, j’aimerais citer " Guerre et Paix ". Il y a un moment où le Prince André est malade et Natacha pour lui faire plaisir lui amène son fils. Cela donne l’occasion d’un court texte extraordinaire que je faisais lire à mes étudiants quand j’étais maître de conférences. C’est un texte qui vous donne du recul sur ce que vous donnent les patients quand, inconsciemment ou non, ils savent qu’ils vont mourir et que le monde ne leur appartient plus. Ils sont déjà ailleurs. Et cela s’est vérifié cent fois dans ma vie de médecin.
Récemment, un de mes patients, âgé de 92 ans, n’allait pas très bien et était au plus mal. Je suis restée avec lui une heure puis j’ai dit à son fils de le faire hospitaliser car il allait mourir. Il a succombé cinq heures après. Il y a quelque chose qui fait que chez cet homme auquel j’étais très attachée – je le connaissais depuis plus de 40 ans – je vis que c’était la fin. Je l’ai senti et lui aussi. Un peu comme dans le roman de Tolstoï où le prince André fait comprendre à Natacha que son fils c’est l’avenir et que lui ce n’est plus l’avenir. C’est très émouvant car en même temps on sent le recul qu’il prend et celui que nous avons en tant que médecin. Il y a un moment donné où on accompagne les patients mais on ne peut pas franchir la porte avec eux. On retrouve souvent ce genre de choses en littérature mais cet exemple est, pour moi, le plus parlant.
Un autre livre vous a interpellée, c’est le Passage de Jean Reverzy. Pourquoi ?
" Le Passage ", pour moi, c’est un des monuments sur la littérature et la médecine… C’est un livre magnifique qui, lui aussi, aborde le même sujet d’accompagnement de la mort. Si ce livre me marque, c’est qu’il y a 40 ans que je suis installée. J’ai vu mourir beaucoup de patients et, d’une certaine manière, j’ai toujours eu le sentiment qu’à un moment donné le patient disait « Lâchez-moi. On n’est plus dans le même monde ». C’est au fond ce qui m’a le plus marquée dans ma pratique. Car, si la maladie est cadrée, voire même encadrée, il y a toujours quelque chose qui nous échappe et c’est la mort. On est médecin et on supporte donc mal que quelque chose nous échappe. On accepte mal que les malades nous abandonnent. Il y a ce lien indicible qui est tout le temps là. On ne peut pas l’effacer. C’est ça qui me paraît intéressant dans ce qu’en dit la littérature.
J’ai vu, un jour, une interne qui venait d’apprendre à un patient qu’il avait un cancer du pancréas, c’était un samedi soir. Elle lui avait dit « vous savez ça va durer huit semaines ». Puis je suis allée voir cet homme et je l’ai trouvé effondré. Je suis restée longtemps avec lui puis, à sa demande, je lui ai rendu visite presque quotidiennement. Il m’a dit une fois qu’il ne dormait pas bien. Je lui ai prescrit du Stilnox©. Et trois ou quatre jours après il m’a dit : « Vous savez Docteur je dors très bien avec le Stilnox© mais je ne voudrais pas m’habituer ». Et la, j’ai compris que lorsqu’on on est dans le déni, on est dans le déni et je n’ai même pas essayé de lui dire qu’il fallait qu’il continue à en prendre. Le patient reste seul quoi qu’il arrive face à sa mort et à sa façon de l’appréhender.
Avez-vous été marqué par d’autres médecins « de papier » ?
Je citerai le médecin de " Corps et âmes" de Maxence Van der Meersch. Un personnage un peu « coton », avant-gardiste pour son époque parce qu’il est l’un des premiers à considérer le patient comme étant un « tout » et pas que des symptômes.
Pouvez-vous dire de vos lectures qu’elles ont participé à votre vocation ?
Je n’ai jamais eu de vocation médicale au sens où on l’entend. Mais, après trente ans d’analyse, je sais que j’ai une vocation thérapeutique. J’aime soigner. Me cantonner dans une spécialité, ce n’est pas concevable. Plus j’avance en âge, plus j’aime écouter les gens.
Lisez-vous plus de livres en rapport avec la médecine ou la maladie depuis que vous êtes vous même médecin ?
Non, j’ai toujours lu beaucoup et de tout un peu. Et pas particulièrement des romans sur la médecine ou des médecins.
Et vous-même écrivez-vous ?
Non. C’est une chose que je n’ai pas du tout en moi. C’est mon mari l’écrivain de la maison.
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