Jean de Kervasdoué : une concurrence réelle doit s'exercer avec le secteur public

Publié le 01/05/2001
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LE QUOTIDIEN - Les responsables des cliniques affichent de plus en plus leur pessimisme quand ce n'est leur désespoir. Est-ce la fin de « l'âge d'or » de l'hospitalisation privée ?
JEAN DE KERVASDOUE
 -  Les établissements privés que nous connaissons aujourd'hui ont connu de profondes évolutions au cours des dix dernières années.
La première date de 1991, avec la loi Evin, qui en fait des établissements de soins. Avant, il s'agissait de simples coopératives de moyens, les outils de travail des chirurgiens, des gynécologues et des anesthésistes. Les cliniques sont passées d'un statut d'entreprise familiale à un statut où elles sont convoitées comme instrument de rentabilité pour les grands groupes industriels et financiers qui leur demandent de dégager des marges, afin de faire face aux investissements nécessaires. Parallèlement, est apparu un mouvement de régulation, notamment avec les réformes hospitalières de 1991 et de 1996. Le mécanisme économique, à travers l'objectif quantifié national a joué un rôle dans les restructurations que le secteur a connu.

Comment cette situation s'est-elle traduite pour les médecins ?
Dans les années soixante, on pouvait avoir sa propre clinique sans disposer de capitaux. En prévision de leur retraite, les médecins avaient des actions dans la société civile immobilière qui possédait les bâtiments. Investir dans la société anonyme ou la SARL qui en dépendait était peu motivant pour eux. Les contrats qui les liaient à la clinique, en revanche, étaient très avantageux pour eux. Aujourd'hui, il existe un problème de transmission de patrimoine dans ce secteur. La génération suivante a dû s'endetter à 32 ans et les chefs de clinique tentent de remettre en cause les contrats de leurs aînés s'ils veulent se faire une place dans les mêmes établissements.

Des aberrations

Quelles sont les inconvénients que présente ce secteur pour les gestionnaires ?
Il y a des aberrations. La nomenclature est inadaptée. Il existe des différences inexplicables d'une région à l'autre et à l'intérieur d'une même région. Certaines remontent aux années cinquante. Certaines activités sont notoirement sous-payées, par exemple l'appendicectomie, d'autres sont notoirement surpayées, comme l'endoscopie digestive ou la dialyse. Il est anormal qu'un accouchement normal ne soit pas rentable.
La clinique est une institution compliquée, parce qu'elle est soumise à toutes les contraintes possibles. Elle dépend à la fois du droit du personnel, du droit des sociétés anonymes, du droit public, du droit des contrats et des relations avec les médecins, du droit de la sécurité sanitaire... De plus, elles sont peu libres de leur stratégie, en raison de leur lien avec les agences régionales d'hospitalisation. Pour assumer la charge d'une clinique, il faut donc avoir un intérêt chevillé au corps.

Comment enrayer la crise actuelle ?
Certainement pas comme on le fait aujourd'hui, où l'on assiste à ce qu'on peut appeler une « gestion politique par la grève ». En temps de paix sociale, les fédérations des cliniques ne sont pas entendues, les problèmes structurels de fond ne sont pas évoqués.
Je pense que, si le mécanisme de facturation à la pathologie était adopté dans le secteur public et le secteur privé, si l'on parvenait à une concurrence réelle avec des modes de tarifications et des prix identiques entre les secteurs (ce qui nécessiterait de tenir compte de la charge financière que supportent les hôpitaux avec leur mission de service public), les cliniques pourraient retrouver une forte croissance. Si l'on était certain de la stabilité des règles de ce secteur et si ces règles étaient correctes, ce secteur aurait plus d'investisseurs et se porterait beaucoup mieux.

Propos recueillis par Sabine de JACQUELOT

Source : lequotidiendumedecin.fr: 6909