Jour de carence, télétravail, fiches repères… des pistes fortes pour réguler les arrêts maladie sans taper sur les prescripteurs

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Publié le 21/02/2019
arret travail

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Crédit photo : S. Toubon

Missionnés en septembre par Matignon, le Pr Stéphane Oustric (médecin généraliste, Université de Toulouse), Jean-Luc Bérard (DRH du groupe Safran) et Stéphane Seiller (Cour des comptes) ont rendu mercredi leur rapport visant à maîtriser les arrêts maladie. D'une centaine de pages, ce document propose des pistes de réforme parfois clivantes  pour enrayer la dynamique des dépenses liées aux indemnités journalières.

Entre 2009 et 2017, le montant global indemnisé est passé de 6 milliards d'euros à 7,4 milliards d'euros, soit un taux de croissance annuel moyen de 2,8 %. La même dynamique est constatée pour le nombre de journées indemnisées depuis 2009, passant de 197 à 234 millions par an (+18,7 % sur la période). 

Prévenir la désertion professionnelle

Pour les experts, les efforts doivent se concentrer sur les arrêts longs représentant 82 % des dépenses indemnisées (soit un peu plus de 6 milliards). « Une personne arrêtée plus de six mois perdrait la moitié de ses chances de retrouver son travail », précisent les experts. Plus l'arrêt se prolonge, plus le risque de chômage ou d'inactivité augmente. L'objectif est d'éviter à tout prix la désertion professionnelle, objectif largement partagé par les syndicats médicaux.

Pour la mission, la visite d'évaluation ou de préreprise devrait avoir lieu entre six semaines et trois mois maximum après le début de l'arrêt de travail – au lieu de 3 mois minimum aujourd'hui (cette visite étant réservée uniquement aux salariés en arrêt de plus de trois mois).

Dans le même objectif, il convient d'améliorer la coordination entre le médecin traitant, le médecin du travail et le médecin-conseil. Cela nécessite de fluidifier le partage d'informations entre ce « trio solidaire » grâce aux outils numériques comme le DMP ou l'avis d'arrêt du travail dématérialisé. Cette coopération permettrait au prescripteur de l'arrêt d'identifier le médecin du travail ou de lui signaler le cas d'un patient qui a besoin d'un accompagnement personnalisé. « Sous réserve du consentement du patient, le médecin traitant doit pouvoir communiquer au médecin du travail les informations d'ordre médical utiles à son traitement », suggère le rapport.

Accompagner les prescripteurs

Contrairement à d'autres, ce rapport dense ne « charge » pas directement les prescripteurs, parfois ciblés par les autorités pour leur complaisance supposée.

Pour la mission, les médecins traitants doivent devenir les « pivots » dans la mise en œuvre des dispositifs de retour au travail. Cela suppose d'être mieux formés à la problématique des arrêts de travail et de leurs prescriptions à travers le DPC. Il faut aussi informer les praticiens sur leur profil de prescription grâce à l'envoi d'un tableau de bord « simple et ergonomique ». 

Le rôle de la CNAM est ici central. La mission met en avant la mise à disposition des « fiches repères » d'aide à la prescription en ligne, validées par la HAS. Mais pas seulement : l'assurance-maladie doit modifier les formulaires Cerfa d'avis d'arrêt de travail ainsi que « les interfaces du service de télétransmission » pour assurer la traçabilité de l'arrêt ou la coordination entre les médecins (traitants, du travail et praticiens conseils).

La mission propose de supprimer carrément sur le formulaire les zones « sans utilité thérapeutique » comme le contrôle des horaires de sortie. Elle suggère de privilégier des contrôles médicaux sur personne par convocation au cabinet du médecin conseil, ou à celui d’un médecin assermenté par le service médical de la CNAM. 

Le télétravail comme alternative si...

Pour élargir la palette des solutions offertes aux médecins, la mission propose, comme déjà annoncé, de leur donner la possibilité de prescrire d'emblée un arrêt à temps partiel – avec la possibilité de télétravail, en alternative à une mise au repos total ou partiel. Face aux réserves soulevées par cette solution dévoilée dès octobre, la mission a précisé que le choix du « télétravail pour raison de santé » serait une option au choix du salarié, mais acceptée par l'employeur (si possible dans les entreprises ayant défini un cadre de télétravail). 

Forfaitisation des IJ

Pour les trois experts, il faut aussi profiter de cette réforme pour revoir le dispositif d'indemnisation « très complexe » et inégalitaire constitué par la superposition de trois étages emboîtés (régime de base de la Sécu, complément légal employeur et accords spécifiques de branche ou d'entreprise faisant intervenir les assureurs).

Une des pistes serait de « forfaitiser » l'indemnité journalière versée par la Sécurité sociale au titre des 30 premiers jours d'arrêt. Aujourd’hui, cette IJ est égale à 50 % du salaire, plafonné à 1,8 SMIC. Surtout, le complément employeur ne bénéficie pas à l'ensemble des salariés (CDD, saisonniers, etc.) « L’extension du complément employeur à toutes les catégories de salariés et l’alignement de ses conditions d’ouverture sur celle de la Sécurité sociale garantiraient à tous les salariés la certitude d’avoir au moins 90 % de leur salaire maintenu », peut-on lire. La valeur du forfait serait calculée pour laisser « globalement inchangées » les dépenses de l’ensemble des entreprises au titre du complément employeur (après extension et alignement).

Jour de carence obligatoire... avec contrepartie 

Last but not least, le rapport propose d'instaurer un jour de carence « d'ordre public », c’est-à-dire obligatoire pour tout le monde, non couvert par les accords de branche ou d'entreprise. Tous les fonctionnaires y sont déjà soumis ainsi que les salariés dont les couvertures complémentaires laissent à leur charge un jour d'arrêt. Davantage que la justification économique, les experts avancent ici le besoin d'équité. 

Face à l'hostilité des syndicats de salariés à ce jour de carence pour tous (les entreprises y sont favorables), la mission propose que cette solution ne soit envisagée qu'en contrepartie de l'extension du complément employeur aux salariés aujourd'hui moins bien protégés.

Ce rapport d'experts n'est qu'une première étape. Ces propositions sont soumises aux partenaires sociaux pour nourrir une réflexion partagée au cours des trois prochains mois, avant une deuxième phase de « négociation » sur certains sujets. Une façon de ne pas trop presser les partenaires sociaux sur des sujets sensibles.


Source : lequotidiendumedecin.fr