La désorientation au réveil d’une AG expliquée

L’abeille, meilleure amie de l’anesthésiste

Publié le 24/04/2012
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Crédit photo : AFP

DE NOTRE CORRESPONDANT

L’ABEILLE À MIEL s’oriente dans l’espace grâce à son sens inné des mouvements du soleil dans le ciel (de 15° par heure en tenant compte de la rotation de la terre). Elle doit cette capacité à son horloge circadienne qui, à l’aide de ces informations, dicte la direction précise du vol de l’hyménoptère (qu’on appelle vector-flight en anglais) entre la source de nectar et la ruche. Les chercheurs (de Nouvelle-Zélande, d’Allemagne et d’Israël) ont fait le raisonnement suivant : si une anesthésie suspend le sens du temps des abeilles, elle devrait aussi affecter la direction du vector-flight.

Les chercheurs ont d’abord vérifié que leur hypothèse tenait. Pour cela, ils ont mesuré la direction des vector-flights des abeilles à l’aide de relevés au compas faits au moment où les insectes, après avoir quitté la ruche, sont perdus de vue (vanishing bearings). Les abeilles, attirées dans un feeder (nourrisseur) à proximité de leur ruche, ont été anesthésiées pendant trente minutes (contrôles) ou six heures (groupe traitement) par de l’isoflurane à 2 % dans l’air. Après l’anesthésie, les abeilles étaient transportées à 6 km de là. A la fin de l’anesthésie les vanishing bearings chez les abeilles contrôles sont de 346°, alors que cet angle est, en moyenne, de 260° dans le groupe traitement. Il existe donc un déplacement anti-horaire significatif de 87° des vanishing bearings chez les insectes anesthésiés pendant six heures. La magnitude de cette différence d’angle supporte l’hypothèse d’une suspension de la notion du temps chez les abeilles anesthésiées.

L’équipe de Guy R. Warman montre ensuite que l’effet perturbateur de l’anesthétique sur le sens du temps des animaux persiste après l’anesthésie. Le jour suivant celle-ci, on observe en effet un retard moyen du moment où les abeilles partent butiner de 3,3 heures vs 1 heure chez les contrôles, la différence étant significative (p = 0,019). Existe-t-il une relation entre ces changements et l’horloge des abeilles ? Une nouvelle série d’expérimentations montre que oui.

Les arguments viennent d’abord de l’examen des rythmes d’activité locomotrice des abeilles à l’entrée de la ruche, qui sont sous le contrôle de l’horloge circadienne : leur mesure à l’aide d’un détecteur de mouvements à infra-rouges objective un retard moyen de 4,3 h chez les insectes ayant reçu l’isoflurane pendant six heures, alors qu’il n’y a aucune anomalie dans le groupe témoin.

Cette observation est renforcée par la détermination (en PCR quantitative en temps réel) des effets de l’anesthésie sur les niveaux d’ARNm (ARN messager) de trois gènes majeurs de contrôle de l’horloge biologique : Cry-m, Per et Clk. Les chercheurs notent un important retard de phase des oscillations de l’ARNm des gènes Cry-m et Per (de 4,9 h et 4,3 h, respectivement). En outre, ces observations ne sont vraies que lorsque l’anesthésique est administré de jour. Il n’a aucun impact sur les rythmes d’activité quand il est donné la nuit. Ce qui conforte l’hypothèse que l’isoflurane perturbe bien l’horloge biologique.

C’est la première fois que des chercheurs démontrent, dans un modèle animal ayant une horloge biologique très proche de l’homme, qu’un anesthétique courant induit des déphasages profonds et durables des rythmes circadiens. Les auteurs proposent un mécanisme pour expliquer leurs observations : l’isoflurane pourrait exercer son action au travers de l’activation des récepteurs GABA. Le GABA est en effet un neurotransmetteur impliqué dans l’entraînement de l’horloge circadienne des mammifères et des insectes. Grâce à l’abeille, nous comprenons donc mieux, aujourd’hui, l’origine du « jet-lag » éprouvé par les patients après une opération.

Warman GR et coll. General anesthesia alters time perception by phase shifting the circadian clock. Proc Ntl Acad Sci USA (2012) Publié en ligne.

 Dr BERNARD GOLFIER

Source : Le Quotidien du Médecin: 9118