Quand la médecine nazie faisait école

L'ancienne École du Führer interroge désormais l'éthique

Par
Publié le 11/06/2018
Article réservé aux abonnés
ecole fuhrer

ecole fuhrer
Crédit photo : DR

Évoquant des fermes traditionnelles recouvertes de toits de chaume, les pavillons de « l’École du Führer pour les médecins allemands », inaugurés en 1935, furent construits dans le village d’Alt Rehse, au fin fond des landes du Mecklembourg, dans le nord-est du pays.

Les médecins venaient passer de quatre à six semaines à la Führerschule Alt Rehse, où alternaient cours magistraux, séminaires et activités ludiques et sportives, le tout dans une ambiance à mi-chemin entre le camp de vacances et la caserne. Comme le résume Rainer Stommer, historien et directeur du mémorial ouvert en 2002, « il fallait que les médecins stagiaires, à l’issue de leur séjour, repartent en étant vraiment persuadé que l’élimination des malades mentaux, de même que la politique raciale, était une mission éthique et moralement acceptable ». Dans un premier temps, les stages étaient réservés aux médecins membres du Parti, puis devaient être étendus à l’ensemble du corps médical, objectif que le cours de la guerre finit par contrarier : par manque de formateurs et de médecins, tous envoyés au front, les stages cessèrent début 1943. À côté des médecins, un millier de pharmaciens et autant de sages-femmes prirent par à ces stages.

Quelques dizaines de jeunes médecins alsaciens

Outre les médecins allemands, les médecins des pays et régions annexés par le Reich, comme l’Autriche et les Sudètes en 1938, puis l’Alsace-Moselle et le Luxembourg en 1940, devaient subir cette « re-formation », à laquelle il leur était impossible de se soustraire. Quelques dizaines de jeunes médecins alsaciens furent envoyés à Alt Rehse à partir de 1941, expérience dont ils gardèrent des souvenirs mêlés : le Dr René Burgun (1913-1999), qui venait de finir ses études à Strasbourg où il exerça plus tard comme dermatologue, se rappelle l’ennui des cours théoriques, qui n’intéressaient pas beaucoup les jeunes stagiaires, plus portés sur les activités sportives et les sorties dans la nature. Les dignitaires médicaux nazis, eux, accordaient une grande importance à cette école, et s’y rendaient régulièrement pour y faire des cours. Elle possédait aussi un jardin médicinal, car le régime se passionnait pour la phytothérapie et les médecines naturelles… à condition qu’elles fussent allemandes et tirées des traditions germaniques. Abandonnée après la guerre, l’École, aux bâtiments intacts, connaît depuis quelques années une renaissance, mais dans une direction bien différente de celle voulue par ses fondateurs : tout à la fois centre d’exposition et d’information, elle accueille des groupes de visiteurs, notamment issus du monde la santé, et organise des rencontres autour de l’éthique médicale. Un pari difficile pour la structure, rebaptisée « lieu d’enseignement et de mémoire d’Alt Rehse », qui vit principalement de subventions, dont certaines versées par les organisations médicales actuelles.

De notre correspondant Denis Durand de Bousingen

Source : Le Quotidien du médecin: 9672