Fiche technique
Réalisation : Robert Wiene
Assistant-réalisateur : Rochus Gliese
Scénario : Carl Mayer et Hans Janowitz
Directeur de la photographie : Willy Hameister
Décors : Hermann Warm, Walter Reimann, Walter Rohrig
Musique : Giuseppe Becce
Genre : fantastique
Noir et blanc
Muet
Durée : 72 min
Première présentation en France : mars 1922 au Ciné-Opéra (Paris)
L’histoire
Deux hommes sont assis sur le banc d'un parc, à la tombée du jour. Le plus jeune, Franz, raconte à l'autre son histoire. Cela a commencé dans l'ambiance bigarrée de la foire d'Holstenwall. Parmi les attractions. un docteur aux allures inquiétantes, Caligari, exhibant dans sa roulotte un somnambule diseur de bonne aventure. Cesare. Leur venue coïncide avec des morts mystérieuses : Alan, un ami de Franz, est l'une des premières victimes, puis c'est au tour de Jane, une jeune femme dont Franz est épris : elle est enlevée en pleine nuit et sauvée par miracle. Le coupable n'est autre que Cesare, mais le diabolique docteur parvient à détourner les soupçons. Un soir, Franz suit le docteur à travers les rues tortueuses de la ville, jusqu'à un asile d'aliénés où il a ses entrées. Un grimoire révèle qu'en l'an 1703 un criminel du nom de Caligari se produisait déjà dans les foires avec pour complice un faux somnambule. On enferme le docteur qui se prenait pour cet ancêtre. L'histoire est-elle terminée ? Non, car Franz est en vérité, lui-même un malade, ainsi que Jane et Cesare. Le directeur du véritable asile ressemble lui aussi à Caligari. Franz est-il fou ? Ou le sont-ils tous ?
Un classique de l’expressionnisme allemand
S'imposant par ses décors déstabilisants, ce classique du cinéma muet a ouvert la voie à l’école expressionniste, dont le souci était d'exprimer la révolte et le malaise de l'Allemagne des années vingt. L’Allemagne devint vite la terre d’élection de ce mouvement qui trouve certainement sa source dans les horreurs de la Première Guerre Mondiale, marqué aussi par les idées freudiennes. A l’issue de la guerre de 14-18, l’Allemagne est un pays exsangue, le malaise psychologique et social est profond et la révolte gronde. L’expressionnisme agit un peu comme le vecteur des souffrances du peuple, déclenchant ainsi un bouillonnement créatif qui va concerner le théâtre, la musique, l’architecture et surtout le cinéma.
Une histoire hallucinante
L'angoisse démente qui imprègne le Cabinet du Dr Caligari est amplifiée par une esthétique cauchemardesque : maquillages et gestuelle violemment stylisés, décors en trompe-l'oeil, perspectives faussées ou déformées, lignes brisées, courbes amplifiées, contrastes exacerbés, toutes ces techniques concourent à dessiner un universfortement perturbant. Aussi novateur qu’original techniquement, le film de Wiene est surprenant par sa conception visuelle saisissante dans laquelle la réalité s’estompe au profit d’un environnement oppressant et terrifiant. Le film baigne constamment dans un atmosphère d'onirisme terrifiant et lugubre où le réel côtoie le surréel. Oppressé par la défaite de la première guerre et par l'instabilité politique du régime de Weimar, les artistes de l'expressionnisme ont ressenti le besoin de s'affirmer, et le film est un concentré de ce que ressentait le peuple allemand. Soutenue par une partition musicale tout aussi vertigineuse que les images du film, l'?uvre de Wiene nous fait entrevoir de façon magistrale la folie née de l'angoisse et de la paranoïa. Toujours fascinant par son climat de cauchemar envoûtant, ce film , 90 ans après sa sortie demeure un chef-d'?uvre indéniable.
Pellicule colorisée
Mis à part le préambule et l'épilogue, le film décrit en fait le délire d'un fou, Francis. Les décors faits de fausses perspectives, de proportions tronquées, l'écriture des cartons intertitres, la colorisation de la pellicule différente selon les scènes sont autant d'éléments qui contribuent à accentuer cette impression d'irréalité.
Fritz Lang avait été pressenti
Fritz Lang, qui avait renoncé à mettre en scène le film car il tournait au même moment Les Araignées, disait à propos de Caligari : « Erich Pommer m'avait désigné à l'origine comme metteur en scène pour ce film. À ce moment il était question de tourner Caligari, disons en style expressionniste. Je crois que ma seule contribution à ce film fut de dire : mes enfants, vous ne pouvez pas le faire comme ça, vous allez trop loin. L'expressionnisme au point que vous voulez ce n'est pas possible. Ca effraiera trop le public. C'est alors que j'ai proposé l'action à tiroirs. On a accepté cela et on a fait se dérouler le début dans un asile d'aliénés. Si j'avais mis le film en scène, j'aurais simplement traité le prologue et l'épilogue de manière tout à fait réaliste, pour exprimer que là il s'agit de la réalité, alors que la partie centrale décrit un rêve, la vision d'un fou. D'ailleurs, c'est un thème qui m'a toujours beaucoup intéressé et qu'on retrouve aussi dans Mabuse »
Une place à part dans l’histoire du cinéma
Film-manifeste de l’expressionnisme allemand, Le Cabinet du Docteur Caligari tient une place à part dans l’histoire du cinéma. Ce sont bien entendu les décors (signés Röhrig, Rienmann & Warm) qui frappèrent en premier les spectateurs : maisons de travers, rues tordues, aucun angle droit dans l’architecture… Le spectateur a ainsi la sensation d’être coupé de la réalité et cette impression accentue l’étrangeté du récit et le déséquilibre mental du narrateur. Maintes fois qualifié de visionnaire, le scénario (écrit juste au lendemain de la guerre de 14-18) dénonce l’autoritarisme, qui transforme les hommes en mouton ou comme dirait Reich en « petits hommes ». Nul doute qu’il y a là de quoi voir une prémonition de la montée du nazisme. Dans ce contexte, le jeu des acteurs finit par être secondaire. Avec le film de Robert Wiene apparaît un type de personnage typique du cinéma muet allemand : le criminel diabolique qui exerce sur la population un sentiment de fscination mélé d’horreur. Hitler n’est plus si loin...
En DVD
Le Cabinet du Dr Caligari a été édité par Film sans Fontières. A noter qu’il existe chez le même éditeur, une version contemporaine du film de Wiene, Le Cabinet du Dr Ramirez réalisé en 1991 par Peter Sellars, plus connu pour ses mises en scène quelque peu icinoclastes des opéras de Mozart. Voici ce qu’en disait Les Cahiers du cinéma lors de la sortie du film interprété par Mikhail Baryshnikov, Joan Cusack, Peter Callagher et Ro Vawter : « Chez Godard, il y a le sang qui est du rouge, chez Sellars il y a le rouge qui est du sang, mouvement de la peinture et geste du théâtre, pour Peter Sellars, c'est clair, la vie est un théâtre, le cinéma un opéra. Et le charme de son film opère, silencieusement. »
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