Quand les politiques s'en mêlent

Le cannabis thérapeutique sur le devant de la scène

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Publié le 27/10/2016
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Crédit photo : PHANIE

Benoît Hamon, Nathalie kosciusko Morizet, Jean-Christophe Lagarde, Cécile Duflot ou encore Jean-Luc Mélenchon… s'il ne s'agit pas nécessairement de favoris, les candidats déclarés à l'élection présidentielle, favorables à l'introduction du cannabis thérapeutique n'ont jamais été aussi nombreux.

« Le débat du cannabis thérapeutique est pollué par des débats stériles sur la légalisation du cannabis », regrette cependant le Pr Amine Benyamina de la consultation d'addictologie de l'hôpital Paul Brousse (AP-HP), qui dénonce le « scandale » du cannabis thérapeutique en France. « Nous avons une pharmacopée avec des produits bien plus dangereux comme les benzodiazémine ou les opiacés qui sont pourtant autorisés ».

Selon une étude de législation comparée commandée aux services du Sénat par le groupe Europe Écologie Les Verts, il y aurait un « déplacement des mentalités en direction de l'autorisation du cannabis », explique la sénatrice Esther Benbassa qui reconnaît que « légiférer en de pareille matière n'est pas chose simple », à commencer parce que les grandes organisations médicales ne se sont pas emparées du sujet avec la dernière des énergies.

L'OMS traîne les pieds

Ainsi, l'organisation mondiale de la santé ne reconnaît pas l'existence d'un usage thérapeutique du cannabis, en dépit de plusieurs rapports commandés par son comité d'experts sur la prise en charge de l'abus de substances psychoactives et son département des médicaments essentiels et des produits de santé.

D'un point de vue réglementaire, le cannabis médical est autorisé dans 23 États américains, ainsi qu'au Canada et en Nouvelle Zélande. Selon une enquête menée en 2006 et publiée dans « Multiple Sclerosis Journal », près de 18 % des patients atteints de sclérose en plaque utilisent le cannabis pour soulager leurs symptômes.

Les données sont contrastées dans cette indication. En 1994, une étude randomisée contre placebo menée chez 10 adultes a montré que la consommation de cannabis aggrave les problèmes de posture et d'équilibre chez les patients atteints de sclérose en plaque. En 2012, les auteurs d'une étude californienne publiée dans le « Canadian Medical Association Journal » ont constaté que la consommation de cannabis réduit la spasticité liée à la sclérose en plaque. D'autres chercheurs ont montré l'effet bénéfique du cannabis sur la prise de nourriture des patients sous chimiothérapie ou sous trithérapie suite à une infection par le VIH, et ce d'autant plus que le cannabis ne semble pas avoir d'effet sur la charge virale ou la cinétique des inhibiteurs de protéases.

Par ailleurs, 3 petites études cliniques ont montré que le cannabis fumé pouvait atténuer les effets secondaires de la chimiothérapie. Ce mode d'administration ne convainc toutefois pas le Pr Bertha Madras, du département de psychiatre de l'école médicale de Harvard et auteur d'un rapport sur le cannabis et ses utilisations thérapeutiques remis en 2015 à l'OMS : « si le but est de prévenir les nausées, la vitesse d'assimilation du cannabis n'est pas un argument. La prise orale longtemps avant la chimiothérapie permet d'éviter les effets secondaires, en évitant les risques d’anxiété et de réaction psychotique associés au cannabis inhalé. »

Effet modeste dans les douleurs neuropathiques

En dehors de ces applications déjà très médiatisées, une étude californienne (Wilsey et al, Journal of Pain février 2013), et une étude israélienne (Elon Einsenberg et al, journal of paliative care pharmacotherapeutical) ont montré que les formes vaporisées de cannabis ont un effet positif, quoique modeste, sur les douleurs neuropathiques. Dans l'ensemble, les produits ayant une AMM « bénéficient de preuves scientifiques d'efficacité et de sécurité très robustes », résume le Pr Madras

En ce qui concerne le lien entre la consommation de cannabis et le risque de psychose et de schizophrénie, le Pr Madras rappelle que « le cannabis produit toute une gamme de symptômes propres à la schizophrénie chez des individus par ailleurs en bonne santé. L'induction de psychoses par le Cannabis a été décrite pour la première fois en 1903 par John Warnock et de nouveau plusieurs fois par la suite, explique-t-il, le cannabis peut soit exacerber des symptômes, provoquer des rechutes et avoir un impact négatif sur l'évolution de la maladie. » Il précise toutefois que ces effets secondaires sont principalement le fait de l'usage récréatif du cannabis et non de son usage thérapeutique.

Le Dr Benyamina est moins catégorique : « Une cohorte néo zélandaise avait montré une diminution de 7 à 8 points du QI chez les consommateurs de cannabis, explique-t-il. Cette étude a été critiquée car il est difficile de prendre en compte l'évolution naturelle des troubles mentaux. On a un consensus qui se met en place : la consommation du cannabis n'est pas un phénomène linéaire, l'âge de la première consommation, la qualité de ce que l'on fume, les antécédents psy et familiaux sont aussi à prendre en compte. Il y a très peu d’éléments qui concourent en faveur de l'émergence de la maladie », résume-t-il.

Une évaluation compliquée

En dépit de l'accumulation de données, l'évaluation de l'efficacité du cannabis est compliquée : les spécialistes s'écharpent sur la méthode d'évaluation à employer et les études sont rarement reproductibles, tant les modes de consommation et les teneurs en THC varient fortement. Il faut en outre compter « l'effet entourage » des molécules qui, en dehors du THC, sont contenues dans les plants de cannabis. Ainsi les cannabidiols sont souvent décrits comme des éléments importants pour lutter contre les effets anxiogènes du THC.

Les données sur la sécurité manquent encore à l'appel : « la plupart des données sont extrapolées à partir de celles provenant des consommateurs de cannabis récréatif, explique le Pr Madras, qui veut que 25 à 50 % des personnes qui prennent quotidiennement du cannabis tous les jours développent une addiction au cannabis ».

Damien Coulomb

Source : Le Quotidien du médecin: 9529