Prévention de la mort subite

Le grand gâchis français de la défibrillation d'urgence

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Publié le 05/03/2018
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« L'arrêt cardiaque est un sujet d'affichage mais qui n'a pas un lobby financier important derrière lui pour justifier des investissements importants. Il n'y a pas de volonté de la part des gouvernements successifs », constate, amer, le Pr Gueugniaud, chef du pôle d'anesthésie réanimation de l'hôpital Édouard Herriot de Lyon et directeur du SAMU qqui ne masque auprès du « Quotidien » sa déception, lors du séminaire organisé par l'association pour le recensement et la localisation des défibrillateurs Arlod.

Ce désintérêt des pouvoirs publics dénoncé par le Pr Gueugniaud, et d'autres participants, trouve son illustration dans la gestion, ou plutôt l'absence de gestion, de la problématique des défibrillateurs automatiques externes (DAE) mis à disposition du public depuis 2007. Il n'est possible, à l'heure actuelle, de connaître ni le nombre, ni la localisation de ces appareils dont la maintenance est très aléatoire. Une évaluation menée par le fabricant Schiller et le distributeur Matecir estime que 30 à 40 % des 180 000 DAE en accès public ne sont pas fonctionnels. « Seuls 30 à 40 % des DAE en accès public et entreprises bénéficient d'une maintenance effectuée par des sociétés ayant les compétences techniques, détaille Christophe Leveque, directeur général délégué de Schiller France. Les établissements de santé eux-mêmes ne réalisent une maintenance correcte que dans 20 à 30 % des cas. »

Ces chiffres qui ne se reflètent pas dans les données du Registre électronique des arrêts cardiaques (RéAC), selon lesquelles 0,6 % seulement des tentatives d'utilisation de DAE butent sur un problème technique. « Il y a un biais », prévient le Pr Gueugniaud, qui a lancé en 2011 avec le Pr Hervé Hubert (université Lille 2) ce registre national qui rassemble les données de près de 86 000 arrêts cardiaques grâce à la participation de 90 % des SAMU et SMUR. « Les défibrillateurs installés dans les lieux très fréquentés qui servent parfois plusieurs fois par an sont aussi ceux qui sont les mieux entretenus », précise-t-il.

Qui est responsable ?

À plusieurs reprises, des DAE n'ont pas fonctionné pas lors d'une tentative de réanimation. Ce fut notamment le cas lors du malaise cardiaque d'un basketteur de 25 ans de Vannes, décédé en janvier 2012. Un réanimateur présent sur les lieux a réalisé 3 cycles de massage cardiaque, avant de découvrir que la batterie du défibrillateur disponible est à plat. Plus récemment, une jeune sportive a connu le même destin dans un stade parisien.

Dans ces deux cas, une action en justice a été intentée par les membres de la famille, mais la responsabilité est compliquée à établir. « Le fabricant peut être inquiété en cas de problème de conception, explique Christophe Leveque. Mais si c'est un défaut de maintenance, l’exploitant peut être mis en cause. Ces derniers pensent se couvrir en reportant leur responsabilité sur des contrats de maintenance choisis sur des critères économiques et non techniques. »

« Les petits distributeurs proposent des contrats de maintenance de 20 à 30 euros par an, raconte le Dr Bruno Thomas-Lamotte, président l'Arlod. Ils se contentent d'envoyer un mail et de passer un coup de fil. » Les éléments à contrôler tous les 2 ans sont pourtant nombreux : pile au lithium, pile d'horodatage, date de péremption des consommables, mise à jour logicielle, vérification de la puissance délivrée, intégrité et chauffage du boîtier etc.

Une répartition inconnue

Quand il a fondé Arlod, le Dr Thomas-Lamotte souhaitait établir une base de données géolocalisées, disponible sur le net. « Nous pensions que les pouvoirs publics prendraient rapidement le relais, mais cela fait maintenant 11 ans et nous sommes toujours là », sourit-il. Avec un financement public de seulement 20 000 euros, et armé de la bonne volonté de bénévoles, Arlod recense désormais environ 25 000 dispositifs, moins de 10 % du total.

Cette base de données reste le seul outil d'envergure nationale permettant aux médecins régulateurs de signaler la présence d'un défibrillateur à proximité du lieu de l'appel. Ce système sera intégré dans le logiciel de gestion unique SI SAMU qui équipera tous les services d'urgence de France d'ici 10 ans, développé par l'Asip santé.

Réforme européenne, la loi française au ralenti

Au niveau européen, le nouveau règlement concernant les dispositifs médicaux, appliqué à partir de 2020, fera passer les DAE de la classe 2B à la classe 3 (celle les défibrillateurs implantables). Cela implique une obligation de traçabilité et la possibilité des fabricants d'auditer leurs sous traitants et leurs distributeurs. Le texte ne dit cependant rien des obligations de maintenance.

Au niveau national, l’Assemblée nationale a voté, le 13 octobre 2016, la proposition de loi du député du Nord Jean-Pierre Decool, encadrant l’installation et l’entretien des défibrillateurs automatiques externes. Le texte, qui n'a toujours pas été examiné par le Sénat, prévoit l’obligation d’installation de DAE pour les établissements recevant du public au-dessus d’un seuil défini par un décret en conseil d’État, et la constitution d’une base de données nationale. Devenu sénateur, Jean-Pierre Decool va tenter d'inscrire son texte à l'ordre du jour du Sénat en juin prochain. Le 21 février dernier, le député Bernard Brochand (8e circonscription des Alpes-Maritimes, Les Républicains) a remis une autre proposition de loi visant la création d’une journée nationale de lutte contre la mort subite.

Les carences en termes de recensement et d'entretien sont d'autant plus dommageables qu'un parc d'appareils bien géré améliore considérablement son efficacité. Il y a 10 ans, le département du Nord avait le plus mauvais taux de survie après un arrêt cardiaque de France métropolitaine. Depuis que le Dr Nordine Benameur, médecin urgentiste au SAMU du Nord, a coordonné un programme de recensement, d'accompagnement et de sensibilisation, « notre taux de survie est supérieur de 50 % à la moyenne nationale chez les sportifs de la population générale », se félicite-t-il.

Damien Coulomb

Source : Le Quotidien du médecin: 9645