Le marathon de Theresa May

Le royaume désuni

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Publié le 29/11/2018
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May : le royaume désuni

May : le royaume désuni
Crédit photo : AFP

On ne peut que saluer le courage, la persévérance et l'impassibilité de Theresa May. A chaque avancée dans la négociation, elle a perdu des ministres qui ne lui ont pas plus tôt tourné le dos qu'ils la clouaient au pilori et réclamaient sa démission. Elle a trouvé plus de compréhension auprès de Michel Barnier, négociateur en chef de l'UE, qu'auprès de ses compatriotes, du parti conservateur et de l'opinion britannique. Elle a subi avec un flegme marmoréen les critiques, assauts verbaux, menaces, tous dictés par la passion anti-européenne et parfois par la haine, que lui lont lancés les plus influents de ses amis et de ses ennemis. Elle a tiré sa force du marasme politique sans précédent créé par le référendum populaire qui a déclenché le Brexit. Il n'y avait personne d'autre pour se colleter à la tâche et l'ancien ministre des Affaires étrangères Boris Johnson ne l'a si constamment agonie d'injures que parce que, pour rien au monde, il aurait voulu la remplacer.

Les Britanniques, parfois les Européens, ne donnaient pas cher de sa peau, qui la voyaient ballottée comme un fragile esquif par le maelström. Jamais, depuis Churchill, un dirigeant britannique n'aura été si seul face à l'adversité. Mais l'ampleur et la complexité d'une interminable négociation lui ont sans doute donné le goût de la bataille. Elle a fini par s'y plaire, probablement parce qu'elle y a vu un défi si rare qu'elle ne pouvait en sortir que grandie. Et si une expérience, fût-elle immensément désagréable, est par définition l'occasion de s'améliorer soi-même, sûrement Theresa May a pris, dans son pays et à l'étranger, une dimension que l'ancienne ministre de l'Intérieur n'avait pas.

Une guerre bureaucratique

Son prédécesseur, David Cameron, pensait, grâce au référendum, mettre un terme à un débat qui commençait à diviser sérieusement son propre parti et espérait obtenir un « non » massif qui eût mis un terme à la dérive nationaliste des Tories et lui aurait permis de rester au pouvoir à l'abri des divisions internes. Il a perdu son pari et a démissionné, mais il n'a jamais décrit publiquement les conséquences délétères de son initiative. Mme May ne s'est jamais prononcée en faveur du Brexit. Mais elle a eu tôt fait de dire qu'elle appliquerait la volonté du peuple, sans quoi le royaume ne serait plus une démocratie. Elle s'est donc lancée dans cet affreux voyage au pays des horreurs qu'a été la révision, point par point, des relations entre la Grande-Bretagne et l'Union européenne telles qu'elles résultaient de 45 ans de vie commune. Un divorce ? Une sorte de guerre bureaucratique plutôt, où chaque transaction a été pesée sur une balance d'apothicaire.

Cet hommage, ici adressé à la chef du gouvernement britannique pour la constance avec laquelle elle a négocié, ne va pas sans son corollaire, un autre hommage tout aussi appuyé, à Michel Barnier, ce « technocrate » d'un classicisme accablant, disait-on, qui, pour avoir fait de la politique en France, n'avait pas, ajoutait-on, le charisme qui aurait plu aux foules. On ne doit ignorer ni la patience, ni la compétence, ni le sens de l'Etat qu'ont mis en commun Mme May et M. Barnier dans cette besace empoisonnée que fut la négociation. Au terme de laquelle rien n'est vraiment joué. Car le vote du Parlement britannique risque d'être négatif, ce qui sonnerait le glas de l'accord et jetterait le Royaume-Uni dans de très graves perturbations. On laissera le mot de la fin à Jean-Louis Bourlanges, ancien député européen, à qui l'on demandait de juger l'accord. « La Grande-Bretagne avait un pied en Europe, un autre au dehors. Maintenant, c'est l'inverse », dit-il.

 

 

Richard Liscia

Source : Le Quotidien du médecin: 9706