«IL EST ÉVIDENT que le tatouage est une thérapie, confie Sandra Devau, tatoueuse depuis douze ans au Québec, et on pourrait nous appeler des psychotatoueurs, tant notre métier exige sensibilité et humanité.» Pour elle, la plupart des clients viennent exorciser une angoisse ou un mal de vivre, et cherchent, à travers le tatouage, à mieux se découvrir et à dépasser leurs limites, voire à commencer une nouvelle vie. Si le tatouage peut être perçu comme un rite de passage, c’est aussi une victoire sur la douleur, car l’exercice, surtout sur certaines parties du corps comme les pieds ou les côtes, peut se révéler particulièrement pénible. «Je vois tout de suite qui est vraiment motivé et qui ne l’est pas», explique Sandra Devau, qui préfère écarter d’emblée les clients hésitants, plutôt que de les voir disparaître avec un tatouage non terminé au bout de quelques minutes de travail. Il existe, certes, des crèmes antalgiques utilisées pendant l’intervention si le client trop sensible le demande, mais elles sont peu efficaces. Les vrais anesthésiques sont réservés aux professionnels de santé et donc interdits chez les tatoueurs.
De plus, le tatouage «se mérite» et un tatouage sans douleur serait comme «faire de l’alpinisme en hélicoptère», expliquent les adeptes des aiguilles. Inversement, les personnes vraiment décidées subiront sans broncher les piqûres du dermographe, au point de multiplier parfois les tatouages, alors qu’elles pensaient n’en vouloir qu’un ou deux. Il est vrai que le tatouage peut être étonnamment addictif et que nombre de candidats à un petit motif finissent abondamment encrés : le premier tatouage est, pour beaucoup, une révélation vers autre chose. Un bon tatoueur doit développer une relation de confiance avec son client, dont il sera un peu le confident, poursuit Sandra Devau, qui voit dans le tatouage une forme de pérennisation de la jeunesse et de négation de la mort. Et le tatouage comporte souvent une forte dimension sexuelle et érotique, qui s’exprimera, ou non, dans les dessins et les motifs tatoués. Alors que nombre de non-tatoués ne franchissent pas le pas du tatouage, justement parce qu’il est définitif, les tatoués les plus passionnés ne redoutent qu’une chose, c’est l’effacement ou la disparition de leur tatouage. Ce besoin d’éternité pousse le milieu du tatouage à regarder avec mépris les tatouages provisoires proposés par certaines boutiques : le dessin sur la peau, rappellent les professionnels, n’a rien à voir avec le dessin dans la peau. Mais la notion d’éternité implique aussi de bien choisir ses motifs et de tenir compte des conséquences de son choix : pour exercer certaines professions, derrière un guichet de banque ou dans un restaurant de luxe, par exemple, il vaut mieux ne pas avoir les bras ou les jambes tatoués, à moins de porter des manches longues, et des bas sombres pour les femmes, même en plein été. Le problème est encore plus délicat avec les tatouages très visibles, par exemple sur les mains, le cou ou le visage. Certains tatoueurs refusent de travailler sur ces parties du corps, ou demandent un long délai de réflexion à leurs clients et s’assurent de la solidité de leur décision. De même, les professionnels sérieux refusent de tatouer les mineurs – ce qui est d’ailleurs interdit par la loi – et rejettent certains motifs ou slogans ostensiblement provocants, par exemple des tatouages racistes. Les détatouages, effectués avec plus ou moins de succès grâce à différentes méthodes, répondent au problème du tatouage devenu indésirable. Le plus souvent, les candidats à ces interventions se sont faits tatouer sur un coup de tête ou pour suivre une mode, et souhaitent quelques années plus tard effacer ce «souvenir de jeunesse». Il est rare, à l’inverse, que les vrais passionnés se fassent détatouer, même s’ils modifient parfois leurs tatouages en les recouvrant de nouveaux motifs.
> DENIS DURAND DE BOUSINGEN
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