Les détectives américains des épidémies

Publié le 01/05/2001
Article réservé aux abonnés

De notre correspondant

L A maladie du légionnaire, le VIH, le virus Ebola, Escherichia coli : à chaque flambée épidémique, les experts de l'EIS sont sur le pied de guerre. Leur tâche n'est pas limitée aux Etats-Unis. En vertu du principe selon lequel toute épidémie peut atteindre rapidement les frontières des Etats-Unis et qu'il faut, en conséquence, l'étouffer dans l'œuf, l'EIS pratique une solidarité bien ordonnée et envoie ses « détectives » à l'étranger, sur les lieux des foyers épidémiques. Ce sont, en quelque sorte, des Médecins sans Frontières qui agissent sur la source du mal.

Pour le CDC, la rapidité de la réaction est essentielle. Elle se traduit parfois par des milliers de vies sauvées. Récemment, une épidémie mystérieuse s'est déclarée en Irlande chez les héroïnomanes. Les symptômes : délire, puis décès. Une maladie foudroyante. Le CDC est alerté. Il désigne une jeune vétérinaire de 27 ans, Kristy Murray, qui prend l'avion chargée de plusieurs livres médicaux susceptibles de lui fournir des renseignements, des « indices », sur l'origine possible du fléau.
Arrivée sur place, Kristy Murray se livre à une enquête, exactement comme si elle était un policier. Elle fait un compte rendu pour chaque malade décédé. Elle établit la liste des personnes que la victime connaissait. Elle refait le parcours qui a précédé son décès. Elle lit les rapports d'autopsie : c'étaient des toxicomanes dont les veines étaient couvertes de tant cicatrices qu'ils avaient opté pour l'injection intramusculaire, dans les cuisses ou dans l'abdomen. Leurs poumons étaient pleins de fluide et leur taux de leucocytes extrêmement élevé, ces signes traduisant la présence d'une ou de plusieurs bactéries. La jeune Murray pousse l'enquête et se rend auprès des praticiens hospitaliers qui avaient pris en charge ces patients : tous les malades se plaignaient d'avoir utilisé une héroïne difficile à dissoudre et exigeant une quantité anormale d'acide citrique. Murray comprend alors que le coupable est une bactérie dont l'acide citrique favorise la multiplication.
Au total, vingt-deux cas ont été rapportés en Irlande. Neuf héroïnomanes sont décédés. Au bout de deux jours et deux nuits d'enquête, Murray fait lancer une alerte par les autorités sanitaires de Dublin : tous les toxicomanes sont conviés à abandonner l'usage de l'acide citrique mortel. Plus aucun décès n'est constaté et Murray rentre à Atlanta. Mission accomplie.

De jeunes idéalistes

Kristy Murray a déjà participé à la lutte contre le virus West Nile à New York, en 1999, et à la prévention du bioterrorisme lors de la conférence de l'Organisation mondiale du commerce à Seattle. Elle ne veut plus être vétérinaire. Elle veut devenir fonctionnaire au CDC et étudier les maladies infectieuses.
Les détectives de l'EIS sont souvent de jeunes idéalistes sous contrat temporaire avec le CDC, comme Kristy Murray.
« Votre patron vous convoque, et en quelques instants, il vous confie une mission au bout du monde », raconte Peter McElroy qui achèvera cet été le contrat de deux ans qu'il a signé avec le CDC. Son travail ne se borne pas aux examens au microscope et à la paillasse des laboratoires. McElroy a suivi des strip-teaseuses du Kansas, des sans-abri de Caroline du Nord, des transsexuels de la côte Est atteints d'une tuberculose qui les contaminait à la faveur de défilés de mode ou sur les pistes de danse. Chaque année, l'EIS forme une soixantaine de nouveaux « détectives ». Le directeur du programme, le Dr Stephen Thacker, a déjà commencé à élargir les missions de l'EIS : violence à l'école, incendies mortels, obésité.
« Nous devons poser les bonnes questions, explique-t-il : de quoi les gens meurent-ils ? Qu'est-ce qui coûte le plus cher à la société ? Si le CDC est censé apporter une différence, c'est sur cette voie-là que nous devons nous engager. »

Laurent SILBERT

Source : lequotidiendumedecin.fr: 6909