Littérature, vocation médicale et exercice (7)

« Les médecins de romans ont renforcé mon envie d’aider les autres »

Publié le 05/09/2015
Même quand ils ne sont pas purement médicaux ou scientifiques, les médecins ont toujours eu une grande appétence pour les livres, en particulier les romans. Cela a donné l’idée à Céline Grimshaw de prendre pour sujet de thèse « L’influence des personnages de praticiens dans la littérature sur la pratique de la médecine générale »*. Chaque samedi de l’été, nous vous proposerons les entretiens réalisés pour ce travail avec sept médecins généralistes qui expliquent comment les médecins héroïques, vertueux, bienveillants, découvreurs ou enquêteurs rencontrés dans leurs lectures ont pu les marquer.

Crédit photo : GARO/PHANIE

D’abord attiré par la recherche médicale, le Dr Michel Q s’est finalement tourné vers la médecine générale parce qu’il y trouverait « moins de routine » qu’ailleurs. Après s’être installé avec son frère et un ami dans un cabinet de groupe du XIIe arrondissement, il a travaillé parallèlement comme médecin du travail vacataire à la Mairie de Paris et assuré des cours à la faculté Pierre-et-Marie Curie. Pour être plus présent chez lui, il a aujourd’hui accepté un poste de médecin du travail à temps plein à la RATP.

La littérature a-t-elle été à l’origine de votre vocation ?

Alors que j’avais dix ans, mes parents m’ont offert deux bouquins : l’un sur la vie de Pasteur et l’autre sur celle d’Albert Schweitzer. Pour moi ça a été déterminant. Grâce à eux, je me voyais déjà médecin. C’était des héros vraiment extraordinaires.

Vos parents étaient médecins ?

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Non, pas du tout, et ils ne m’ont pas encouragé dans cette voie. Après mon bac littéraire, je me suis inscrit en médecine. Mon père n’était pas ravi : pour lui la voie royale, c’était de devenir ingénieur via « Math Sup’». J’ai même fait ma première année de médecine en même tant que celle de « Math Sup’» ! Au départ, j’ai fait médecine pour faire de la recherche comme Pasteur, Calmette, Yersin… pas pour soigner les gens. J’avais été bercé plus jeune par ces chercheurs. Et puis il y avait les « Belles Histoires de l’oncle Paul » dans « Spirou ». On y racontait l’histoire de héros : aussi bien Saint-Louis et Du Guesclin que Pasteur, Schweitzer ou Fleming… Ça m’avait pas mal marqué.

Les lectures enfantines peuvent donc être très marquantes…

Oui et c’est pour cela que je voulais faire vraiment de la recherche médicale au début ! Dans ma jeunesse, on avait un petit laboratoire avec mon frère. On est allé aussi très jeune au Muséum d’Histoire naturelle. J’ai continué à vouloir faire de la recherche jusqu’aux stages hospitaliers. Je me suis aperçu alors qu’il y avait moins de routine dans la voie médicale que dans la recherche médicale. Je ne voulais plus regarder 50 000 lames de sang pour trouver quelque chose…

Donc vous avez fait votre internat clinique ?

Oui, j’ai continué dans différents services. J’étais de plus en plus passionné par le contact avec les malades et c’est ainsi que je suis devenu généraliste ! Je compare souvent la vie à une partie de flipper. Et c’est vrai qu’à force de se heurter à des obstacles, on ne suit pas forcément l’idéal qu’on avait prévu. Bon, j’ai quand même toujours un peu gardé ma petite vocation Albert Schweitzer. J’ai ainsi préparé un certificat de pathologies tropicales. Pour aller soigner en Ouganda ou ailleurs. Mais je ne l’ai jamais fait. Au départ je me voyais soigner dans les pays africains sur les traces de Schweitzer mais, à un moment donné, on se trouve des excuses. Devenir père de famille, par exemple…

Êtes-vous resté un grand lecteur ?

Oui, je lis beaucoup et ma femme aussi.

Plutôt des romans ?

C’est très variable. Ca va des essais philosophiques aux ouvrages scientifiques en passant par les études littéraires… Et cela en dehors de tout ce que je lis pour le travail.

Quel type de roman lisez-vous le plus ?

Ca va des premiers romans du XVIIe siècle aux romans contemporains. Je viens de finir « Charlotte » de David Foenkinos. Je suis aussi abonné au « Magazine Littéraire » qui parle régulièrement des dernières publications. Je lis le supplément du « Monde » consacré aux livres le jeudi ainsi que celui du « Figaro ».

Pour en revenir aux médecins dans la littérature, d’autres ont-ils pu influencer votre exercice ?

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Quand j’étais ado, à 13-14 ans, un ouvrage m’avait beaucoup marqué : « La Citadelle » de Cronin. C’est l’histoire d’un jeune médecin qui va soigner des mineurs dans une ville de mineurs du Pays de Galles. Un truc miséreux. C’est du Dickens, ce médecin qui va être tenté par l’aristocratie, surtout à l’époque, mais qui est confronté à la pauvreté qu’il est amené à soigner. Le livre m’a beaucoup ému à l’époque. Ce conflit qui existait en lui. Et ses prises de positions, très… socialistes… Mais, comme je l’ai déjà dit, j’avais déjà envie d’être médecin à l’époque et cette lecture n’a fait que me renforcer dans l’envie d’aider ceux qui en ont besoin.

Aujourd’hui, lisez-vous des écrivains médecins ou des livres évoquant la médecine ?

Non, pas forcément. C’est vraiment par hasard.

Et les classiques ? Madame Bovary, par exemple

Le Docteur Bovary m’a beaucoup influencé comme beaucoup de médecins. C’est à cause de lui que je

me suis dit qu’il fallait se contenter de faire ce que l’on savait faire. Quand on ne sait pas faire, il faut

passer la main ou alors il faut l’apprendre.

Vous vous êtes donc retrouvé dans la sagesse de Charles Bovary ?

Ah non, c’est un contre-exemple. Pour ne pas avouer que l’on ne sait pas faire, on fait les choses de manière catastrophique. Je crois que je l’ai toujours gardé à l’esprit, inconsciemment, mais comme exemple à ne pas suivre. Prescrire des choses qu’on ne sait pas, ça m’a toujours effaré. Je n’aurais pas pu.

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Voyez-vous d’autres personnages de médecins notables dans la littérature ?

Il y a le médecin de Proust dans la recherche du temps perdu. Un médecin que tout le monde se recommande comme étant le meilleur médecin. Ca me fait penser à une soirée il y a une dizaine d’années où j’ai retrouvé deux amis de loin que j’avais soignés longtemps avant pour des petites choses. Des gens de la « haute société ». Je me suis retrouvé dans la situation du médecin des Verdurin où on disait le « grand médecin » qui passait son temps dans les salons, qui était mondain, qui s’est fait élire à l’Académie de médecine par ses relations, pas par son talent. Donc cette situation m’a fait rire. Mince, je suis le médecin des Verdurin !

Et Céline, dans la même veine des contre-exemples ?

Est-ce que Céline intervient comme médecin vraiment ? J’en ai lu pas mal de Céline. Le « Voyage » Le médecin de Meudon tel qu’on le voit, il n’est pas très encourageant. Il est sale. Il y a des chats partout, ça pue la pisse. Ce n’est pas terrible. Je le trouvais répugnant. Je pense qu’un médecin a besoin de propreté. Même si j’en ai rencontré des médecins sales ! Un médecin ça doit être clean !

Et si je vous parle de Martin Winckler ?

Il ne m’a pas plu. J’ai trouvé qu’il en faisait trop. Ca m’a fait penser à « Hippocrate », le film, que je viens d’aller voir. On n’apprend pas grand-chose. Les gardes, on a tous vécu ça. Le bon médecin qui fait ses gardes. Comme Winckler. Ce n’est pas glorieux d’avoir fait ça, c’est normal. C’est pour cela que Winckler ne m’a pas du tout marqué.

Il a pourtant la cote chez les plus jeunes qui aiment bien ce côté : « je me retrouve dans ce qu’il dit ».

On se retrouve sans se retrouver, un peu rigide. Je n’ai jamais considéré les médecins comme des êtres surhumains. Pourtant je ne viens pas du milieu médical et j’avais une image très, très haute des médecins. Et fréquenter le milieu médical, ça a été une grande déception. J’ai vu beaucoup d’arrivistes, de gens imbus de leurs personnes, sûrs d’eux. Et ça m’est encore douloureux, à 67 ans passés. La médecine me semble être quelque chose au service des autres. J’ai une éducation catholique, je suis même pratiquant. Mon père avait érigé comme symbole la devise de Saint Paul : Le privilège de servir. À partir du moment où on a quelque chose, c’est un privilège de donner. Et c’est vrai, c’est plus facile de donner que de recevoir. Et, quand vous êtes médecin et que les gens qui sont en face de vous viennent demander, vous devez donner. Il ne faut pas avoir une attitude de jugement.

L’incarnation du médecin bienveillant, c’est une idée qui revient dans « Le Dr Pascal » de Zola…

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Le médecin de Zola, voilà le type de médecin que j’admirais. Et il y en a plein d’autres exemples. Par exemple, le médecin de Cronin, pour en revenir à lui. Ce n’est pas un médecin vraiment prestigieux, il soigne banalement dans les mines du Nord de l’Écosse. À l’inverse, je n’ai pas du tout aimé « les Hommes en blancs» d’André Soubiran que j’ai dû lire quand j’étais gamin. Je n’ai aucune affection pour les gens trop sûrs d’eux-mêmes…

Et vous-même, vous écrivez ?

Oui, j’écris. Mais j’ai bien précisé à mes enfants que le jour de ma mort, il faudra brûler tous mes cahiers sans

les lire. J’écris au jour le jour, des notes, des impressions. J’ai toujours un petit cahier sur moi.

Vous n’avez jamais eu envie de publier, de partager ?

Non, écrire c’est un petit peu comme dessiner, c’est « fixer ». Quand vous dessinez quelque chose que vous regardez une statue, un tableau, vous fixez ce que vous regarder. Et ça vous marque ! J’écris quand j’ai une idée qui me passe par la tête, quand je vois quelque chose de particulier. J’ai l’impression d’approfondir ce que j’ai vu. Je pense que mettre par écrit des choses qu’on voit, c’est très important. On n’approfondit pas de la même façon. Les poètes c’est un peu ça. D’ailleurs je lis aussi de la poésie. C’est très masculin, la poésie. Je connais plus d’hommes que de femmes qui lisent de la poésie. Mais c’est aujourd’hui un peu honteux de s’avouer amateurs de vers…


Source : lequotidiendumedecin.fr