Dans quelle mesure les probiotiques, ces micro-organismes vivants développés à des fins thérapeutiques, évoluent-ils une fois ingérés chez l'hôte ? Et dans quelle mesure ce phénomène adaptatif, s'il existe, peut-il modifier leur efficacité et leur tolérance ?
C'est à ces questions que des chercheurs américains ont voulu répondre avec le probiotique E. coli Nissle 1917, un candidat d'intérêt de par son patrimoine génétique déjà commercialisé en Europe (Allemagne, Belgique, Suisse), – mais pas en France –, dans des maladies de l'intestin (syndrome du côlon irritable, colopathie fonctionnelle, Crohn ou rectocolite hémorragique).
Des médicaments pas comme les autres
Les probiotiques ne sont pas des médicaments comme les autres. « Les probiotiques sauvages ou génétiquement modifiés peuvent se répliquer dans l'intestin et sont de ce fait soumis à la sélection naturelle, potentiellement au détriment de leur effet thérapeutique attendu et leur profil de sécurité », expliquent les auteurs.
Dans « Cell Host and Microbe », l'équipe de Nathan Crook à l'université de Washington montre chez la souris qu'en effet les probiotiques se modifient et ce, différemment, en fonction du microbiote de leur hôte.
Les probiotiques s'adaptent à leur environnement
Dans leurs travaux, les scientifiques ont analysé par séquençage le génome entier des probiotiques chez des souris ayant un microbiote varié (pauvre en sucres et en lipides, riche en fibres), mais aussi des rongeurs avec une faible diversité du microbiote, du fait d'une alimentation déséquilibrée (riche en graisses et en sucres, pauvre en fibres) ou d'un traitement préalable par antibiotiques.
Il en ressort quelques semaines après le traitement qu'il y a assez peu de changements adaptatifs chez les souris saines. En revanche, il en est tout autrement en cas de dysbiose, c'est-à-dire chez les individus malades qui ont besoin a priori d'être traités. Les probiotiques, soumis au stress de la compétition avec le microbiote pauvre, développent alors une instabilité génomique, accumulant des mutations altérant leurs propriétés.
Des probiotiques « charognards » et « survivalistes »
Chez les rongeurs à l'alimentation déséquilibrée, cela se traduit par une modulation de l'utilisation des hydrates de carbone, de la réponse au stress et de l'adhésion à la muqueuse intestinale. En cas de traitement antibiotique préalable, les probiotiques développent des résistances. « Ces résultats indiquent que E. coli Nissle définit sa niche dans l'intestin à travers la compétition métabolique, faisant du (probiotique) non pas un acteur offensif opportuniste mais plutôt comme un charognard et un survivaliste », écrivent les auteurs.
Huy Mach, Gaia Remerowski, Mark Hallett
E. coli Nissle, un châssis pour personnaliser
Faut-il jeter les probiotiques à la poubelle pour autant ? « Ce n'est pas une raison pour ne pas développer les thérapies à base de probiotiques, estime Gautam Dantas, professeur d'immunologie, de microbiologie moléculaire et de thérapie génique biomédical à l'université de Washington et auteur senior de l'étude. Mais c'est une raison pour vérifier comment (les probiotiques) changent et sous quelles conditions. »
C'est ainsi que les scientifiques démontrent le potentiel thérapeutique d'une souche d'E. coli Nissle génétiquement modifiée dans un modèle murin atteint de phénylcétonurie. Cette bactérie « mangeuse » de phénylalanine a permis de diminuer le taux de l'acide aminé excédentaire de 50 %. Pour les auteurs, ces résultats suggèrent l'intérêt de personnaliser l'approche probiotique via le génie génétique, tout en confirmant le potentiel de la bactérie E. coli Nissle, « un châssis » pour les thérapies géniques, écrivent-ils.
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