Dr Arnaud Veïsse, directeur général du COMEDE

« Les troubles psychiques figurent au premier rang des pathologies des exilés »

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Publié le 11/09/2017
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Dans l'article publié dans le « BEH », vous estimez le taux de prévalence des troubles psychiques graves à 16,6 % ; les deux tiers sont des syndromes psychotraumatiques (60 %) et des traumas complexes (8 %), surtout chez des victimes de violences. Les exilés en situation de détresse sociale ou déboutés de leur demande d'asile semblent eux plus sujets aux tableaux dépressifs (22 %). Quel enseignement en tirer ?  

Les troubles psychiques graves figurent au premier rang des pathologies chez les exilés, bien avant les maladies infectieuses, contrairement aux idées reçues. On ne peut pas dire que leur fréquence s'accroît, car la genèse des troubles psychiques graves relève en partie de facteurs individuels. Mais la dégradation des conditions d'accueil des exilés renforce la gravité des troubles, et entrave leur prise en charge, avec des droits non appliqués voire bafoués, et en santé mentale, des difficultés dans l'accès à un psychothérapeute et à un interprète. 

Quelle serait une prise en charge adéquate des souffrances des exilés ? Doit-elle être spécifique ?

Il faut un accompagnement pluridisciplinaire : médico-psycho-social et juridique. Tous les exilés ont besoin d'accéder aux soins, d'ouvrir leurs droits à la sécu, d'avoir un hébergement, sans subir de discriminations. Les personnes souffrant de troubles psychiques devraient pouvoir s'adresser à un médecin, un assistant social qui s'y connaisse en droits des étrangers, un psychologue et à un interprète. Ce qui en théorie est faisable grâce au généraliste, au centre médico-psychologique (CMP), et à l'assistant social de secteur. Mais le plus souvent, un maillon manque. Les CMP sont débordés et ne travaillent pas toujours avec des interprètes. Les Permanences d'accès aux soins de santé ne sont pas toujours outillées en psychologues. Nous nous retrouvons parfois en première ligne en matière de soins, alors que nous ne devrions être qu'un soutien et que, faute de moyens, nous ne pouvons pas suivre autant de personnes qu'on le souhaiterait. 

On ne peut pas dire qu'il y aurait une spécificité de la psychothérapie. Une telle représentation joue parfois comme frein. Accompagne l'exclusion. L'ethnopsychiatrie - utile dans certains cas - a pu être utilisée comme faux nez pour dire que ces personnes doivent être traitées dans des endroits spécialisés.

En revanche, il y a la vraie nécessité de travailler avec un interprète formé, qui puisse traduire ce qui se dit, et qui connaisse les pays d'origine. Et du temps. Ce n'est pas de la médecine qui se fait en dix minutes, avec un logiciel de traduction. Nous avons obtenu que la loi Santé de janvier 2016 reconnaisse la médiation sanitaire et l'interprétariat sanitaire comme des prestations de santé publique. La dynamique est enclenchée ; il faut désormais des moyens. 

Quel regard portez-vous sur les politiques publiques actuelles ?

On constate une terrible continuité des politiques d'exclusion et d'inhospitalité à l'encontre des exilés, ce qui précarise leur statut. Or prodiguer des soins de qualité suppose un minimum de stabilité ne serait-ce que géographique pour les exilés !

Le diagnostic en termes de santé publique s'est amélioré, avec des signaux positifs : un « BEH » qui ne parle pas uniquement de maladies infectieuses, la reconnaissance de l'interprétariat… Mais l'accès aux soins et plus largement les conditions d'accueil des exilés se dégradent depuis 20 ans. 

*Violence, vulnérabilité sociale et troubles psychiques chez les migrants/exilés. Arnaud Veïsse, Laure Wolmark, Pascal Revault, Maud Giacopelli, Muriel Bamberger, Zornitza Zlatanova

Propos recueillis par Coline Garré

Source : Le Quotidien du médecin: 9600