Malgré le Brexit

L'Europe tient bon

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Publié le 24/01/2019
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L'Europe tient bon

L'Europe tient bon
Crédit photo : AFP

Ce qui jette les Britanniques dans les transes, la division et le clanisme, c'est la fermeté des autres peuples européens, et la solidité de l'Union face à la politique conduite par la  Première ministre, Theresa May. Coïncée entre sa volonté d'appliquer les résultats du référendum de 2016, qui lui ordonnent la rupture, et le désir, à la fois cynique et naïf, d'obtenir les avantages commerciaux de l'UE sans subir ses contraintes, elle a tenté d'avoir à la fois le beurre et l'argent du beurre. Face à des négociations d'une complexité inouïe et d'une technicité extrême, la réponse des 27 au Royaume-Uni, a été purement politique : nous appliquerons les dispositions européennes jusqu'au bout. L'Europe ne doit pas être dévastée par le départ des Britanniques.

Or cette unité semblait impossible. Pour plusieurs raisons : l'affaiblissement du leadership européen avec le déclin de la direction allemande, l'incapacité du président Macron à succéder à Angela Merkel dans ce rôle à cause d'une crise intérieure des plus sérieuses, la montée en puissance de gouvernements populistes en Autriche, en Pologne, en Hongrie, en Italie, le ralentissement de la croissance mondiale qui affecte l'Europe elle aussi, les efforts (sans succès à ce jour) de Donald Trump pour remplacer les relations euro-américaines par des accords bilatéraux et, d'une façon générale, une atmosphère européenne qui n'incite pas à l'optimisme. Le traité d'Aix-le-Chapelle, déjà stigmatisé par les souverainistes, montre que la coopération franco-allemande progresse néanmoins.

Mme May a tenté de tirer parti de ce mauvais contexte pour sauvegarder les intérêts commerciaux et financiers de son pays tout en exauçant les vœux d'une partie de ses compatriotes. La position européenne, qui a été défendue bien plus par les technocrates de Bruxelles que par des gouvernements nationaux qu'entravaient leurs problèmes internes, a consisté à ne jamais trahir l'essentiel de ce qui fait l'Union, les principes hautement égalitaires qui accordent les mêmes droits à tous les pays-membres et à ne consentir aucune concession qui eût permis à Londres d'obtenir de la négociation plus d'avantages que d'inconvénients. De ce point de vue, on peut féliciter Michel Barnier, ancien ministre de Jacques Chirac, et négociateur en chef de la Commission, pour sa fermeté toujours courtoise et son sang-froid impressionnant. Quand Mme May a fait valoir qu'elle avait le devoir de traduire dans les faits l'exigence majoritaire de ses compatriotes, M. Barnier lui a répondu en substance que le peuple du Royaume-Uni devait accepter pleinement les conséquences du Brexit.

Un repoussoir

Lequel a donc revigoré l'unité européenne. Plus les discussions se compliquaient, plus l'écheveau des propositions et contre-propositions grossissait, plus se développait chez les 27 le sentiment qu'ils avaient bien de la chance de n'être pas entrés, comme les Anglais, dans l'antichambre de l'enfer. Le Brexit a joué le rôle de repoussoir, il a mis d'accord des gouvernements populistes tentés par l'autoritarisme et des gouvernements défenseurs des libertés, il a relativisé les conflits qui ont opposé les tenants du droit européen à une Pologne désireuse de s'affranchir d'une justice indépendante ou une Italie qui, pour tenir des promesses électorales excessives, se moquait comme d'une guigne de sa propre dette. Il est vrai que des déclarations faites à Paris et à Rome ont envenimé les relations franco-italiennes au-delà de la réaffirmation indispensable des principes. Emmanuel Macron aurait pu garder pour lui certains de ses jugements lapidaires, ce qui a conduit le gouvernement italien, après la livraison de Cesare Battisti par la Bolivie, à réclamer à la France le retour en italie de quelque 90 réfugiés politiques auxquels notre pays a accordé le droit d'asile.

Il faudra du temps et de la patience pour raccommoder ces relations, qui ont été très étroites depuis 1945. Cependant, une sorte de flexibilité de l'Union, fort bien utilisée par ceux qui, à Bruxelles, ont souvent été les victimes d'injustes critiques, servira tôt ou tard à une réparation des liens entre la France et l'Italie, trop denses et trop solides pour être sectionnés.

Richard Liscia

Source : Le Quotidien du médecin: 9718