E LLE volerait presque la vedette aux stars du Festival de Cannes. Elle fait la manchette des journaux, les « une » des magazines. C'est l'étoile de M6, le sujet de conversation préféré des sociologues, des spécialistes de l'audiovisuel, des psychiatres. Un peu plus de deux semaines après son lancement (« le Quotidien » du 5 avril), l'émission télévisée Loft Story, présentée par la société productrice comme un « psycho-jeu de rencontre », est toujours au centre des débats.
C'est le sénateur Claude Huriet, auteur de la loi de 1988 « relative à la protection des personnes dans la recherche biomédicale », qui s'élève à présent contre l'émission. Selon lui, Loft Story, par son caractère d'expérimentation comportementale, « bafoue spectaculairement » la législation de 1988.
« Trois des critères de la loi ne sont pas respectés, explique-t-il au "Quotidien". Le premier concerne les pré-requis scientifiques de l'expérimentation entreprise ». Il est en effet fort douteux que l'aspect scientifique de Loft Story soit le souci essentiel des producteurs de l'émission.
Second critère : la finalité de la recherche. On ne peut pas jurer que Loft Story, malgré sa vocation de jeu psychologique, apporte une pierre de taille à l'édifice de la connaissance scientifique de l'être humain. « Le troisième critère est plus important, estime le sénateur. Il s'agit de l'appréciation du bénéfice attendue de l'expérimentation par rapport aux risques pour la santé qu'encourent les participants. Or ces derniers sont réels », insiste-t-il.
Le Dr Jean-Louis Morizot, chef du service psychiatrie à l'hôpital d'instruction des armées Desgenettes, à Lyon, se montre plus modéré quant aux conséquences psychologiques que pourraient subir les candidats sélectionnés à ce « jeu de vérité ». « Ces jeunes gens sont tous volontaires, rappelle-t-il. Je parlerais plus d'une expérience que d'une expérimentation. Il est vrai que vivre en milieu clos provoque toujours des réactions violentes. Certains candidats ont d'ailleurs décidé de partir. Ce qui me paraîtrait anormal, c'est que l'on retienne des participants contre leur gré. »
Habitué à rencontrer des militaires envoyés en mission dans des sous-mariniers pour une période de trois mois, le Dr Morizot considère que l'enfermement dans lequel sont plongés les candidats n'est pas à un point tel qu'il génère des troubles psychopathologiques.
Des clauses juridiques
Les producteurs de l'émission se sont en tout cas prémunis contre cette éventualité. Dans les contrats que doivent signer chaque participant, l'article 1-6 précise que celui-ci « est parfaitement informé et conscient du fait que participer à l'émission l'exposera, lors de son séjour dans la maison (le loft) , à des conditions de vie extraordinaires (...) Le participant est par ailleurs conscient du fait que l'hypothèse de ressentir une pression psychologique doit être envisagée, autant durant qu'après son séjour dans la maison (...) Il ne pourra par conséquent, en aucune hypothèse, engager la responsabilité de la société s'il venait à subir un quelconque préjudice moral, physique ou matériel durant son séjour dans la maison ou après celui-ci ».
Aujourd'hui, le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) doit tenir une réunion extraordinaire sur Loft Story. L'instance s'interroge notamment sur d'éventuelles atteintes aux principes fondamentaux du respect de la personne humaine et du droit à l'image dont seraient victimes les onze reclus de l'émission. Spécialiste des médias au CNRS et ancienne membre du CSA, Monique Dagnaud considère que les émissions comme Loft Story peuvent effectivement s'apparenter à une expérimentation sur l'homme. « On peut dire que Loft Story est une utilisation de matériaux humains, mis dans un contexte spécifique, à des fins de spectacle, relève-t-elle. En réalité, on contrôle très peu l'éthique des programmes, contrairement à la violence et à la pornographie. Dans la loi audiovisuelle, la conception de la liberté de la communication l'emporte sur toutes les autres dispositions qui la contrebalance, comme celle concernant la dignité humaine. » Selon la sociologue, personne ne prendrait vraiment le risque de s'attaquer à ce sujet, de peur d'être accusé de censure.
M6 bat son record d'audience grâce à Loft Story
L'émission Loft Story, diffusée en fin de semaine dernière, a battu un « record d'audience historique pour la chaîne » en 2001, en rassemblant 7,7 millions de téléspectateurs et en plaçant M6 en première position devant ses concurrentes. C'était la première fois depuis le lancement de ce « psycho-jeu de rencontre » télévisé que l'un des participants était éliminé en direct par un vote du public. Auparavant, deux candidats étaient partis de leur propre chef. L'un d'eux avait évoqué « des raisons médicales », sans plus de précision.
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