La victoire de Bolsonaro au Brésil

L'orage populiste

Publié le 11/10/2018
Article réservé aux abonnés
L'orage populiste

L'orage populiste
Crédit photo : AFP

Jair Bolsonaro est un ancien capitaine qui cultive encore le souvenir de la dictature militaire au Brésil entre 1964 et 1985. Lui-même ne s'attendait pas à une victoire électorale d'une telle ampleur. Il a été poignardé pendant sa campagne et c'est miracle s'il a survécu. Dans trois semaines, il ne devrait pas manquer de battre à plate couture la gauche incarnée par Fernando Haddad, le successeur de Dilma Roussef, empêchée par les Brésiliens de terminer son mandat et de Inacio Lula da Silva, dit Lula, jeté en prison pour corruption, bien qu'il ait sorti de la misère des millions de concitoyens. Le triomphe de Bolsonaro confirme un courant qui traverse tout le continent américain, depuis que Donald Trump a été élu : les élcteurs choisissent de plus en plus souvent des leaders qui leur promettent d'en finir avec la corruption mais dont le programme s'apparente à une somme de mesures autoritaires.

Ce courant n'est ni de droite ni de gauche : peut-on dire, par exemple, que le Venezuela de Nicolas Maduro est gouverné par la gauche, en dépit de l'héritage de Hugo Chavez ? C'est un pays dont une fraction énorme de la population est partie en exil, qui ne peut plus nourrir les Vénézuéliens, qui sombre dans dans une sorte de farce tellement sinistre que ni Franz Kafka ni Berthold Brecht ni Alfred Jarry ne sauraient en rendre compte. Mais au moins ces auteurs ont-ils prévu, longtemps avant d'autres, ce que l'irrésistible ascension d'un dictateur peut signifier pour un pays et pour le reste du monde. Ce ne serait que le Brésil, immense territoire qui abrite le poumon du monde, la forêt amazonienne, elle-même mise en danger par une exploitation cynique et désordonnée, d'aucuns hausseraient les épaules. Mais c'est bien plus que ça : c'est le Nicaragua, livré à un homme, Daniel Ortega, lui-même dominé par une femme ivre de sa puissance, qui refuse de quitter le pouvoir ; c'est le Venezuela, donc, avec Maduro ; c'est l'Argentine, de nouveau en proie à la banqueroute ; c'est le Mexique qui, malgré un système démocratique, sombre dans la criminalité, c'est la Colombie, pas encore guérie de la « révolution » conduite par les FARC.

La mémoire qui flanche.

Tout se passe comme si l'humanité n'avait pas de mémoire et ignorait complètement les désastres auxquels le choix d'un potentat expose le peuple qui l'élit. Parmi les électeurs de Bolsonaro, il y a d'anciens militants du Parti du travail, le parti politique de Lula. Ecœurés par la corruption de droite et de gauche, ils tombent dans les bras d'un homme qui regrette que la dictature militaire n'ait pas assassiné, plutôt que torturé, ses victimes. Et ce qui se produit en Amérique latine se situe dans le sillage du grand chambardement populiste qui secoue l'Europe, en Italie, bien sûr, mais en Allemagne aussi, en Autriche, bientôt aux Pays-Bas, en France peut-être. Tous ces mouvements nationalistes, c'est-à-dire égoïstes, cyniques et revanchards ont des amis tout trouvés, comme Erdogan en Turquie, Poutine en Russie, et bientôt, pourquoi pas ?, Bachar Al-Assad en Syrie. Le nationalisme est le fil rouge qui relie les dictateurs et ceux qui aspirent à le devenir à la faveur d'un système électoral parfaitement démocratique. Ce fil rouge est fait d'une matière unique : le mensonge sous la forme de fausses nouvelles, le mépris des gens qu'ils entendent gouverner ou gouvernent déjà, l'arrogance qu'ils tirent d'un scrutin dévoyé. 

Le triomphe de Trump en 2016 annonçait la suite. Il constituait l'exemple sans précédent, celui de la plus grande nation démocratique soudainement tombée dans une immense pantalonnade. Le message de Trump était simple :  arriver au pouvoir par la voie des urnes et renverser irrémédiablement le système de valeurs pour le mettre au service des happy few, par exemple les entreprises les moins fiscalisées et les moins honnêtes. Le pire, s'agissant de ces forces à la conquête des Etats démocratiques, serait l'indulgence. Le pire serait d'ignorer la menace qui pèse sur tous les hommes et femmes qui ont une conscience.

Richard Liscia

Source : Le Quotidien du médecin: 9693