A Paris et à Saint-Germain-en-Laye

Maurice Denis, peintre de toutes les grâces

Publié le 02/11/2006
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ANNÉES 1880. C’est au cours de cette décennie décisive que les peintres Sérusier, Ranson, Bonnard, Vuillard, Ibels et Piot se réunirent pour former le groupe des nabis (« prophète » en hébreu), aux côtés de Maurice Denis, qui en devint par la suite le théoricien et chef de file. Leurs revendications et leitmotives ? En réaction au réalisme triomphant de l’époque, développer un art simplifié, très décoratif, aux formes synthétisées, et dans lequel la nature serait glorifiée.

Le mysticisme habite dès le début les toiles de Maurice Denis, fortement imprégnées de l’art de Puvis de Chavannes. Le peintre restera toute sa vie fidèle à cette foi ardente qui inondera ses compositions, même les plus profanes, d’une authentique spiritualité.

Une peinture de sensations.

Marthe Meurier, la femme aimée et la muse, inspire au peintre nabi de nombreuses compositions. Dans toutes les représentations féminines que Denis se plaît à peindre, c’est Marthe, la figure sensuelle, qui apparaît, sous les traits de créatures stylisées, magnifiées et glorifiées, de déesses dansant au coeur d’une nature apaisée, de muses perdues dans des bois magiques, en procession, en route vers des « cheminements spirituels », ou encore de princesses et de vierges qui évoluent au gré des saisons, dans des jardins d’Eden. Ces oeuvres de la première jeunesse, peut-être les plus émouvantes et les plus poétiques, s’inspirent de légendes, de récits bibliques et mythologiques. On est au coeur de la singularité de l’art de Denis, un art mystérieux, inspiré, allégorique.

A l’instar de ses complices et amis les nabis, Maurice Denis multiplie les audaces. Les formes sont simplifiées, parfois à l’extrême. Les lignes, souples et sinueuses, déploient de subtiles arabesques. Les couleurs, éclatantes, rayonnantes, sont disposées en aplats (somptueux « Christ vert », « Taches de soleil sur la terrasse » et « Soir jaune sur Fourqueux »). Denis définissait un tableau, selon une formule devenue célèbre, comme une «surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées». Les influences du japonisme sont fréquentes. La lumière est douce ou au contraire violente et extrême. C’est une peinture vibrante, une peinture de sensations.

Dans les dernières années du XIXe siècle, Denis voyage à Rome avec André Gide. De ce périple, il garde un goût très vif pour les Primitifs florentins, et sa peinture amorce un virage marqué par un renouveau classique. Les compositions sont de plus en plus rigoureuses, architecturées. C’est à cette époque que le groupe nabi se divise, Denis revendiquant le «goût latin» en opposition à l’ «empirisme sensuel» d’un Vuillard ou d’un Bonnard. L’artiste décline à l’envi les thèmes qui lui ont toujours été chers : les plages et les paysages. Il s’enivre des rivages bretons et se laisse aller à peindre les sables dorés, le vert émeraude de l’océan, le camaïeu des crépuscules, les ocres doux des rochers : la couleur est traitée avec à la fois une incroyable douceur et une intensité lumineuse. Quant aux paysages, ils sont volontiers urbains, italiens (vues de l’Arno, de Fiesole, de la villa Médicis...), ou bien révèlent les jeux du soleil sur une rivière. On ne manquera pas la très belle « Chartreuse du Reposoir », son dernier tableau achevé. L’art de Denis est d’un équilibre constant, d’une sensualité apaisante. On y décèle parfois des accents mélancoliques.

L’intérêt de Maurice Denis pour les arts appliqués se manifeste à travers les paravents, les cartons de vitraux, les panneaux décoratifs, les imitations de tapisseries (voir les « Arabesques poétiques » et « Avril »). La « Frise pour chambre à coucher » que le marchand Siegfried Bing commanda au peintre en 1895 et dans laquelle ce dernier évoque «l’amour et la vie d’une femme» est reconstituée ici, tout comme la décoration pour l’hôtel particulier du baron Denys Cochin en 1895 (magnifique récit de la vie épique de Saint Hubert). Mais c’est surtout avec « l’Histoire de Psyché », cinq panneaux de décor, ainsi que des dessus de portes, des bordures florales, des trompe-l’oeil et des sculptures inspirés de l’histoire mythologique racontée par Apulée, que Denis porte au plus haut point les arts décoratifs, qui s’inscrivent dans la tradition du goût français à la Versailles.

On ne manquera pas les deux autres expositions proposées par le musée d’Orsay qui complètent cette belle rétrospective. La première fait découvrir les photos prises par Maurice Denis de ses amis peintres et écrivains et de sa famille, dans lesquelles on retrouve les mêmes principes formels que dans les peintures du maître (Galerie de photographies du musée d’Orsay, jusqu’au 21 janvier 2007). L’autre présente un ensemble de dessins acquis en 2003, destinés à l’illustration de « Sagesse » de Paul Verlaine et des « Fioretti » de saint François d’Assise (Galerie d’arts graphiques du musée d’Orsay, jusqu’au 21 janvier 2007).

Un parcours en Ile-de-France.

A Saint-Germain-en-Laye (Yvelines), dans Le Prieuré, la maison que le peintre habita, devenue un ravissant musée consacré à son oeuvre*, une exposition présente jusqu’au 21 janvier quelque 180 dessins rares et inédits de l’artiste (gouaches, fusains, sanguines, pastels) qui proviennent en majorité du fonds Maurice Denis, à l’origine de la création du musée en 1976.

Enfin, pour clore ces célébrations consacrées à Denis, un parcours autour des plus belles réalisations du peintre est organisé en Ile-de-France. Il conduira les visiteurs au théâtre des Champs-Elysées (dont il décora la coupole), à l’église Notre-Dame du Raincy (pour laquelle il réalisa les cartons de vitraux), au Petit Palais (il peignit les fresques de la grande coupole Dutuit)…** A suivre aussi à Orsay, un colloque, des lectures et un cycle de concerts sur la musique française autour de 1900.

Ces hommages rendent enfin justice à un peintre d’une personnalité exceptionnelle, habité par toutes les grâces.

> DAPHNÉ TESSON

Musée d’Orsay, 1, rue de la Légion-d’Honneur, Paris 7e. Entrée : 9 euros (TR 7 euros). Tél. 01.40.49.48.00. Jusqu’au 21 janvier 2007. A lire : le catalogue de l’exposition, 288 pages, éd. RMN, 44 euros et le Découvertes Gallimard « Maurice Denis. Le spirituel dans l’art », 128 p., 13,90 euros.
* Musée départemental Maurice Denis « Le Prieuré », tél. 01.39.73.77.87.
** Tous les renseignements sur le site www.musee-orsay.fr.

TESSON Daphn

Source : lequotidiendumedecin.fr: 8043