Mauvaise passe pour la médecine générale et les spécialités cliniques

Publié le 07/09/2010
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Crédit photo : S TOUBON

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REVENUS 2009. Le bilan fiscal des AGA (UNAPL) que publie « le Quotidien » est édifiant. En 2009, les revenus des médecins libéraux ont souffert, particulièrement dans les spécialités cliniques déjà au bas de l’échelle. À 80 100 euros, le bénéfice imposable du généraliste recule légèrement (-0,2 %), pour la deuxième année de suite.

Annus horribilis pour (presque) tout le monde ! 2009, année de crise, ne laissera pas un souvenir impérissable aux médecins libéraux, si l’on s’en tient à leur revenu imposable. Selon les déclarations fiscales issues des AGA de l’UNAPL, qui brassent des effectifs très significatifs (14 000 généralistes, 1 400 psychiatres, 1 200 cardiologues, 1 000 ophtalmologistes…), ceux qui « trinquent » sont beaucoup plus nombreux que ceux qui tirent leur épingle du jeu (tableau ci-dessous). Un bilan négatif que chacun lira avec sa propre loupe : dommages collatéraux du parcours de soins pour certaines spécialités, blocage tarifaire généralisé et même baisses de tarifs unilatérales (radiologues), vide conventionnel total (depuis fin 2007), réforme des consultations dans les limbes, hausse des charges…

Une certitude : en pleine campagne électorale chez les médecins libéraux, et à quelques mois de la négociation d’une nouvelle convention pour cinq ans, ces résultats seront regardés à la loupe aussi bien par les syndicats qui défendent leurs mandants que par les pouvoirs publics. Les avocats d’un « rééquilibrage » des revenus en médecine libérale trouveront sans doute de nouveaux arguments.

Seules (maigres) consolations : l’inflation moyenne en 2009 était tombée à un très bas niveau (0,1 %) ; et beaucoup d’autres professions libérales - notaires, architectes… - ont également souffert l’an passé dans un contexte de crise économique.

•Médecins généralistes : l’« effet ciseau » (gel tarifaire, hausse des charges, activité stable)

Avec 80 100 euros de résultat imposable, les généralistes ont subi une baisse moyenne de revenu de 200 euros entre 2008 et 2009. Ce nouveau recul de 0,2 % intervient après le mauvais millésime 2008 (-0,9 %) dans la foulée de trois années de progression modérée en 2005 (+3,9 %), 2006 (+2,4 %) et 2007 (+4,4 %). La raison majeure ? Pas de revalorisation de la consultation depuis le passage du C à 22 euros le 1er juillet 2007. Parallèlement, les charges (sociales personnelles, impôts, frais… ) se sont envolées. Pour 2009, la légère hausse du chiffre d’affaires des généralistes (honoraires totaux) est donc intégralement annihilée par la croissance des charges. Qu’on en juge : sur 100 euros de recettes, le bénéfice du médecin de famille était de 59,30 euros en 2007. Celui-ci est passé à 58,40 euros en 2008 avant de tomber à 57,30 euros en 2009… CQFD.

Les résultats compilés par l’UNAPL confirment ce qu’une récente étude de la DREES (ministère de la Santé) a mis en évidence. Les revenus des médecins généralistes sont en berne depuis deux ans. Selon la DREES, la baisse du revenu des généralistes entre 2007 et 2008 avait même atteint 1,7 % en tenant compte de l’inflation. Le bilan des AGA ne surprend donc guère les états-majors syndicaux. « Cette nouvelle baisse est le résultat du blocage des revalorisations d’honoraires et du non-respect de la hausse du C à 23 euros, déclare le Dr Michel Combier, président de l’Union nationale des omnipraticiens de France (UNOF), la branche généraliste de la CSMF. Et comme il n’y a pas eu de hausse du volume d’actes et que les charges augmentent inexorablement, la perte est sèche ! ». Le Dr Claude Leicher, président de MG-France, confirme que la médecine générale est « sur la pente descendante » depuis deux ans. « Et les chiffres de l’Assurance-maladie montrent que sur les 6 premiers mois de l’année 2010, les honoraires des généralistes ont baissé de 2 % », ajoute-t-il. Selon le président de MG-France, la médecine générale et les spécialités cliniques ont pâti de la convention de 2005 qui a davantage profité aux spécialités techniques. Une analyse que réfute la CSMF selon qui les opposants à la convention ont bloqué la revalorisation du C depuis deux ans.

Quoi qu’il en soit, la médecine générale reste coincée à l’arrière du peloton des spécialités médicales juste derrière les rhumatologues (80 400 euros) et devant les dermatologues (77 200 euros).

Le revenu moyen de 80 100 euros par médecin généraliste cache de profondes disparités géographiques. Dans certaines régions, les médecins de famille affichent des revenus plus conséquents au prix d’une forte activité par médecin (demande de soins élevée et faible densité). C’est le cas dans le Nord-Pas-de-Calais (94 900 euros) et en Picardie (92 500 euros). A l’inverse, les généralistes aquitains ont gagné 73 700 euros, devant leurs homologues de Provence-Alpes-Côtes-d’Azur (70 000 euros), du Languedoc-Roussillon (69 300 euros) et de Rhône-Alpes (68 300 euros).

•Médecins spécialistes : des perdants à la pelle

Si les spécialistes connaissent des fortunes diverses, la tendance générale est clairement à la morosité. Lors de l’exercice précédent (2008), seules quatre des 25 spécialités de notre liste avaient vu leur bénéfice régresser. Cette fois, quatorze disciplines subissent des pertes nettes de revenu (outre la spécialité de médecine générale), d’autres comme les pédiatres (+2,8 %) font le yo-yo d’une année sur l’autre, opérant au mieux un rattrapage. Seules deux spécialités (néphrologues et chirurgiens orthopédistes) peuvent afficher une croissance du résultat supérieur 3 %, une situation qui était fréquente les années précédentes. Surtout, plusieurs disciplines cliniques plutôt en retrait dans la hiérarchie générale des revenus (tableau page 4) continuent à perdre du terrain avec un bénéfice en repli (ORL, psychiatres, pneumologues, gynécologues médicaux, dermatologues, endocrinologues, neurologues…). Les syndicats ne s’y trompent pas qui ont positionné leur discours sur la défense de ces « cliniciens ». « Ce doit être une priorité nationale, affirme le Dr Jean-Claude Régi, président de la FMF, qui vient de demander à Roselyne Bachelot des mesures tarifaires dérogatoires pour ces disciplines. On ne peut plus attendre ! ». Pour ce même leader, « le parcours de soins mal organisé et l’incurie de la convention sont responsables de cette catastrophe ». À la CSMF, le Dr Jean-François Rey, président de la branche spécialistes, n’est pas en reste, puisqu’il vient de placer la rentrée syndicale sous le signe des « spécialités cliniques en déshérence ». « Pour certaines disciplines comme la psychiatrie, on peut même parler de sinistre ».

On citera le cas particulier des radiologues : pour cette spécialité technique régulièrement pointée du doigt par la CNAM, la baisse du bénéfice a été imposée par les pouvoirs publics avec une série de baisses de tarifs unilatérales (forfaits techniques, actes en série…). Le résultat apparaît en 2009 : presque 5 % de baisse moyenne du revenu imposable.

Le Dr Olivier Aynaud, vice-président délégué pour la santé à l’UNAPL, insiste là encore sur la hausse « générale importante » des charges pour de nombreux praticiens qui, associée à une période blanche de revalorisations, aboutit à une sous-évaluation des actes médicaux. Sans possibilité de compenser par un surcroît d’activité. « De nombreuses spécialités sont arrivés au taquet en terme de volumes, il ne peuvent pas faire plus, analyse le Dr Aynaud. C’est une équation dangereuse pour de nombreux cabinets libéraux : les charges fixes progressent, pas les recettes. Pour une TPE (très petite entreprise), ce n’est pas simple à gérer ».

CYRILLE DUPUIS ET CHRISTOPHE GATTUSO

Source : Le Quotidien du Médecin: 8809