VOUS NE POURREZ PAS LE RATER. Ces jours-ci, la photo d'un garçonnet noir est exposée sur 1 600 panneaux 4 X 3 répartis dans toute la France. Allongé sur le côté, enroulé dans une couverture, l'enfant regarde devant lui ce qui pourrait bien être la venue de sa mort. L'image est passée, les couleurs délavées, pour traduire la lente dégradation de la mémoire collective. C'est d'ailleurs un petit Rwandais qui a été choisi, pour illustrer une crise qui est aujourd'hui retombée dans l'oubli international. En dessous, la signature de la campagne : « Nous soignons ceux que le monde oublie peu à peu. » Ce visuel fait coup double pour marquer les vingt-cinq ans de l'association créée par Bernard Kouchner, après l'expédition de « L'Ile de lumière » : il rappelle au grand public que MDM a deux vocations : soigner et se faire le porte-voix des victimes, surtout quand personne n'a souci d'elles.
La manière douce plutôt que le choc des photos.
L'agence Euro-RSCG qui a conçu (gracieusement) cette campagne a voulu se démarquer des classiques du genre, enfants morts, vieillards décharnés et hémoglobine coulant à flots pour susciter par la manière douce une prise de conscience du public plutôt que d'infliger le choc des photos : nous sommes tous responsables de l'oubli.
Comme l'explique le Dr Françoise Jeanson, « notre mandat d'humanitaire exige à la fois d'aller soigner les populations oubliées et de révéler leur existence au public ». Car les crises durent bien au-delà de leur brève visibilité médiatique. Et le travail des ONG médicales ne saurait être réduit aux images d'Epinal des catastrophes archimédiatisées, comme la Bosnie, le Kosovo, l'Irak, ou l'Asie du Sud-Est, avec leurs clichés du Barnum des cargos qui déchargent leurs containers de médicaments et de vivres. « Ces images, commente la présidente de l'association, nous ont été servies jusqu'à l'écœurement à l'occasion du tsunami du 26 décembre. » A la longue, à force de « zapping humanitaire », la compassion fatigue, et le mécanisme de l'oubli se met en branle.
Le président de l'association Communication sans frontières, Bruno David, n'hésite pas à mesurer les « unités de bruit médiatique », qui rendent très difficile la diffusion de l'information sur les crises oubliées. Et « même pour les urgences fortement médiatisées, observe le directeur général d'Euro-RSCG, Laurent Habib, le système d'essuie-glace est tel qu'une crise chasse l'autre, ballottant l'attention du public qui finit par se poser des questions sur l'efficacité des dons versés ».
L'oubli s'empare des drames qui surviennent dans les pays à haut enjeu stratégique, comme la Tchtétchénie, où il s'agit de ne surtout pas inquiéter la puissance russe, la Corée du Nord, où l'aide est massivement détournée par le pouvoir militaire. Mais il sévit autant dans les régions dont les grandes puissances se désintéressent, comme on le voit en RDC, où les crises chronicisées ne sont plus traitées par les médias, ou au Libéria, dont personne ne parle jamais plus, en dépit des ravages de la violence et de la misère qui y sévissent.
La campagne de MDM veut donc « mobiliser sur les angles morts politiques et médiatiques ». La liste des missions auprès des populations oubliées est longue : Angola (enfants des rues et malnutris), Birmanie (explosion du sida), Bolivie (santé des enfants des mines), Haïti (chaos chronique où il est vital de travailler avec les populations), Niger (ravages du Noma), Papouasie (rétablissement de l'accès aux soins et prévention sida). L'oubli sévit au loin, comme avec ces populations nomades des Nenets, au fin fond de la Sibérie. Il est aussi tout proche : en France même, MDM prend en charge les sans-logement dont le sort n'est évoqué que quelques jours par an, à l'occasion des périodes de grand froid. Et la mission saturnisme évalue entre 150 000 et 300 000 le nombre des enfants exposés à ce risque directement lié à la pauvreté et qui n'intéresse pas les médias.
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