Cas clinique

Myalgies fébriles prolongées révélant une fièvre méditerranéenne familiale .

Publié le 08/03/2017
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Crédit photo : DR

Nous rapportons l’histoire d’une fille de 7 ans ayant présenté un tableau de fièvre prolongée avec myalgies intenses et éruption atypique. Dans ses antécédents familiaux, on notait une origine méditerranéenne juive sépharade, une fièvre méditerranéenne familiale (FMF) chez deux ascendants éloignés. Elle ne présentait pas d’antécédent personnel notable hormis des douleurs d’effort mollets, non invalidantes, La croissance staturo-pondérale était satisfaisante et les vaccins étaient à jour.

La maladie a débuté fin octobre 2016 par des douleurs abdominales, une diarrhée modérée non glairosanglante et des vomissements durant 3 jours sans fièvre. Le 12 novembre, apparaissent des difficultés à la marche avec asthénie et œdème des mollets spontanément résolutif en 24 heures. À partir du 17 novembre, on note une impotence fonctionnelle totale avec douleurs diffuses, œdèmes des mains et pieds avec éruption purpurique de la main droite et asthénie. Elle consulte aux urgences le 21 novembre, devant l’apparition de vomissements alimentaires et douleurs abdominales avec fièvre à 39 °C et frissons. Elle est alors hospitalisée, et l’on note une extension du purpura, l’apparition de lésions vésiculopustuleuses, la persistance de polymyalgies et d'arthralgies majeures et la survenue d’un torticolis avec persistance de la fièvre (1 à 3 pics par jour) durant 12 jours.

L’examen physique montre une enfant fébrile à 39 °C, pâle, asthénique, irritable, avec une fréquence cardiaque à 107/minutes, une tension artérielle à 108/71 mmHg, une saturation à 100 % ; les myalgies sont diffuses intenses, associées à une polyarthralgie (hanches, genoux, coudes, chevilles et poignet). l'examen cutanéomuqueux met en évidence des lésions vésiculeuses en bouquet (figure 1), ombiliquées aux membres, un œdème des mains et des pieds recouverts de purpura (figure 2) +/- infiltré, une éruption urticarienne (figure 3). Elle présente par ailleurs un torticolis irréductible sans signe de focalisation neurologique.
 

[[asset:image:7039 {"mode":"full","align":"","field_asset_image_copyright":["DR"],"field_asset_image_description":["figure 1. L\u00e9sions v\u00e9siculeuses et pustuleuses du mollet"]}]][[asset:image:7040 {"mode":"full","align":"","field_asset_image_copyright":["DR"],"field_asset_image_description":["figure 2.Purpura infiltr\u00e9 p\u00e9t\u00e9chiale ecchymotique non n\u00e9crotique et \u0153d\u00e8mes des pieds "]}]][[asset:image:7041 {"mode":"full","align":"","field_asset_image_copyright":["DR"],"field_asset_image_description":["figure 3. Urticaire"]}]]


Les examens paracliniques ont révélé :

• hémoglobine : 11,6 g/dl, plaquettes : 592 g/l, leucocytes : 10,7 g/l dont 8,13 g/l neutrophiles et 1,5 g/l lymphocytes. CRP 186 mg/l, VS 91 mm 1h, fibrinogène 6,7 g/l ;

• créatine kinase (CPK) : 429 U/l – normalisé en 72 heures ;

• hyponatrémie : 132 mmol/L sans hypo-albuminémie ; fonction rénale, bilan hépatique normaux ;

• hyper-IgG : 12 g/l, IgA : 2,51 g/l et IgM : 1,39 g/l ;

• épanchement articulaire de la hanche droite et du coude gauche à l’échographie ;

• échographie abdominale et cardiaque normales.

La démarche diagnostique a été la suivante :

-Étiologies infectieuses éliminées : en premier lieu l’entérovirus et le staphylocoque doré ; puis hépatite B, C et A, CMV, EBV, HHV et VIH – faible réplication HHV6, tuberculose, yersiniose, salmonellose, toxocarose, toxoplasmose.

-Vascularite nécrosante éliminée : absence d’anticorps anticytoplasme des neutrophiles (ANCA) ; absence d’atteinte spécifique des petits vaisseaux à l’exception de discret infiltrat de polynucléaires périvasculaires sans nécrose fibrinoïde, ni dépôt d’IgA sur deux biopsies cutanées ; une biopsie musculaire sans vascularite avec infiltrats inflammatoires de polynucléaires neutrophiles (figure 4) sans anomalie à l’immunohistochimie (figure 5) ; pas d’atteinte des gros/moyens vaisseaux (TEP-TDM, TDM cervicale, angio-IRM cérébrale).
 

[[asset:image:7042 {"mode":"full","align":"","field_asset_image_copyright":["DR"],"field_asset_image_description":["Figure 4. Biopsie musculaire. Quelques infiltrats de polynucl\u00e9aires neutrophiles et rares monocytes s\u2019\u00e9tendant focalement sur l\u2019endomysium. Pas de l\u00e9sion de vascularite"]}]][[asset:image:7043 {"mode":"full","align":"","field_asset_image_copyright":["DR"],"field_asset_image_description":["Figure 5: Biopsie musculaire - Pas de surexpression du HLA-1. Absence de d\u00e9p\u00f4t de complexe d\u2019attaque membranaire C5-B9. Exceptionnels lymphocytes T, lymphocytes B et d\u2019exceptionnels macrophages."]}]]

-Tableau atypique pour une connectivite, malgré anticorps antinucléaires à 1/320 aspécifiques.

-Pas de déficit immunitaire ni d’activation macrophagique.

-Par élimination, syndrome de myalgies fébriles prolongées (SMFP) révélateur d’une FMF. Cette hypothèse a été confirmée par la présence d’unemutation homozygote M694V du gène MEFV.

La suspicion d’un SMFP nous a conduit à mettre en un traitement par Colchicine (1 mg/j). Devant la persistance du tableau clinique sévère, une corticothérapie par Prednisolone (1 mg/kg/j) a été instaurée, permettant une amélioration en 48 heures, en décroissance sur 8 semaines, sans nouvelle complication.

Discussion

Nous avons décrit un SMFP inaugural de FMF. La FMF est la plus fréquente des maladies auto-inflammatoires mendéliennes, touchant les populations originaires du bassin méditerranéen. Sa prévalence varie entre 1 et 2,5/1 000 sujets dans ces populations à risque. La FMF est associée à des mutations du gène MEFV, codant pour la pyrine. Son mode de transmission principal est autosomique récessif. La FMF se traduit le plus souvent par des poussées récurrentes, durant 1 à 4 jours, de périodicité variable, avec intervalles libres : fièvre élevée brutale associée à des sérites ; douleur abdominale (péritonite), thoracique (pleurésie, péricardite), arthralgies/arthrite (synovite). L’objectif du traitement est de prévenir/limiter l’intensité des crises, la survenue de l’amylose AA, complication de mauvais pronostic. La colchicine quotidienne à vie reste le traitement de premier choix. En cas d'intolérance ou d’efficacité insuffisante, les anti-interleukine 1 peuvent être mis en place.

Les myalgies sont observées chez 25 % des patients atteints de FMF : spontanées, induites par des efforts, liées à la colchicine, liées au SMFP (10 %). Le SMFP est une vascularite leucocytoclasique des petits vaisseaux +/- avec IgA/C3. Le diagnostic de SMFP est évoqué devant des polyarthralgies, polymyalgies intenses bilatérales avec impotence fonctionnelle totale > 5 jours, associées à une fièvre persistante, des éruptions cutanées (purpurique, vésiculeuse, urticarienne), des douleurs abdominales et un syndrome inflammatoire marqué avec CPK normales. Le traitement du SMFP est basé sur la Prednisone, rapidement efficace. Le tableau le plus ressemblant au SMFP est celui de PAN, vascularite nécrosante systémique des moyens et/ou petits vaisseaux. On retrouve dans la PAN plus spécifiquement un livedo réticulaire, des nodules sous-cutanés sensibles, parfois une multinévrite sensitivomotrice distale et une atteinte rénale. On peut documenter des anomalies structurelles en imagerie vasculaire. La mortalité est évaluée autour de 4% (complications digestives) avec 35 % de rechutes sous traitement.

Il existe une association notable entre mutations pathogènes du gène MEFV et pathologies inflammatoires : vascularites (IgA, PAN, Behçet), spondyloarthrites, maladies inflammatoires chroniques intestinales notamment. Ces travaux sous-tendent que certains variants du gène MEFV pourraient interférer avec le système immunitaire adaptatif induisant ou aggravant des lésions dans certains tissus.

Il est intéressant de constater que cette patiente ne répondait pas aux critères diagnostiques classiques de FMF ; seules les douleurs des membres inférieurs à l’effort semblaient présentes avant le SMFP. Ceci souligne la limite des critères de classification dans la FMF.

Conclusion

Le SMFP est une entité clinique bruyante de bon pronostic, associée à la FMF, dont elle peut être inaugurale. Le diagnostic de SMFP doit être évoqué devant un tableau ressemblant à une PAN, chez un sujet issu d’une ethnie à risque et/ou ayant des antécédents familiaux de FMF. Il est posé par élimination, des causes infectieuses, tumorales et inflammatoires autres.

Service de rhumatologie pédiatrique, centre de référence des maladies auto-inflammatoires, CHU de Bicêtre.  
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Dr Guillaume Costa, Dr Maryam Piram, Pr Isabelle Koné-Paut I, Dr Bilade Cherqaoui

Source : lequotidiendumedecin.fr