Une nouvelle métaanalyse excluant tous les biais

Pas d'effet des oméga 3 sur le risque cardiovasculaire

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Publié le 16/02/2018
oméga3

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Crédit photo : PHANIE

Les études observationnelles, menées dans les populations occidentales comme asiatiques, ont montré que la consommation régulière de poissons (1 à 2 fois/semaine) était associée à un moindre taux de décès d’origine cardiovasculaire (CV), coronaire précisément (CHD). Ces observations, comme le taux plus faible de CHD dans les populations consommant des aliments riches en acides gras polyinsaturés à très longue chaîne, contenant des oméga 3 (ag-Ω3), ont attiré l’attention sur les possibles effets protecteurs de ceux-ci sur le risque coronaire.

Les ag-Ω3 dérivés des produits de la mer incluent l’acide eicosapentaénoique (EPA) et l’acide docosahexanoïque (DHA), que l’on trouve dans les poissons et autres produits de la mer, mais pas l’acide alpha-linoléique, qui dérive, lui, des plantes.

Des résultats contradictoires

Une étude, diet and reinfarction trial 1-study (DRT1S), a révélé l’association entre al consommation d’huile de poisson – deux fois par semaine – et une réduction de la mortalité coronarienne et de toutes causes, ainsi que du risque coronaire chez des hommes ayant précédemment fait un infarctus du myocarde (IDM), mais pas sur la rechute des IDM non mortels. Mais la seconde étude, DRT2S, chez des sujets ayant un angor, montrait au contraire un risque de décès accru ! D’autres études observationnelles ultérieures ont donné des résultats contradictoires.

Et, côté interventionnel, dix grandes études ont comparé la supplémentation par ag-Ω3, versus placebo ou pas de traitement, chez des patients aux antécédents de CHD, AVC ou à haut risque CV, avec des résultats tout aussi contradictoires. Deux larges études une Italienne et une Japonaise ont respectivement montré une réduction de 10 % et 20 % du risque de décès ou d’évènements majeurs après IDM. Mais les 8 autres études n’ont rien montré de tel !

Est-ce lié à la diversité des situations CV étudiées, en prévention primaire comme secondaire, à l’usage concomitant de statines, ou à des biais d’autre nature ? Une précédente méta-analyse avait conclu à un bénéfice de la supplémentation en ag-Ω3 sur les décès par coronaropathies, mais pas sur les formes non fatales. Mais des limites méthodologiques de cette méta-analyse ont diminué sa portée et on n’en arrête jusqu’alors aucune conclusion.

10 études, 77 917 sujets à haut risque

Cette nouvelle métaanalyse des études interventionnelles s’est appuyée sur une méthode visant à exclure tous ces biais et une approche préspécifiant les différents sous-groupes de complications CV (1). Elle a recherché toutes études publiées et répertoriées dans le Medline et Pubmed de plus de 500 patients, d’une durée supérieure ou égale à 12 mois, recourant à des ag-Ω3 d’origine marine. Ces études mesuraient les décès coronariens, les IDM non-mortels, les AVC, les autres évènements CV majeurs, la mortalité toutes causes et l’ensemble des évènements CV majeurs.

Au total, 10 grandes études, chez 77 917 sujets à haut risque CV (61,4 % d’hommes), de 64 ans en moyenne à l'inclusion, suivis pour une durée moyenne 4,4 ans. Les apports d'EPA, qui allaient de 226 à 1 800 mg/j, n’ont eu aucun lien statistique avec les décès par IDM, les IDM non-mortels, ou toute autre forme de CHD. Il n’a été retrouvé aucun lien avec les évènements CV majeurs, y compris en prévention secondaire sur terrain de maladie coronaire.

En somme, cette méta-analyse démontre l’absence de lien entre supplémentation ag-Ω3 d’origine marine et réduction des maladies coronaires, mortels ou non, avec un recul moyen de 4,4 années... Et pas non plus sur le risque de décès toutes causes et par cancers. Ceci vaut aussi pour les sous-groupes, selon l’existence d’un diabète, les niveaux lipidiques, l’usage de statines et le fait d’être en prévention secondaire. Pourquoi ces discordances avec certaines études précédentes ? Selon les auteurs, une méthodologie plus stricte.

Cacophonie des recommandations

Les sociétés savantes ne s’entendent pas sur ce sujet. En 2016, la société européenne de cardiologie (ESC) et la société européenne d’athérosclérose (EAS) ont conclu que les études sur la supplémentation en ag-Ω3... ne permettent pas de conclure, et que nous avons besoin de plus de preuves pour la recommander pour la prise en charge des dyslipidémies. À l’inverse, la société américaine de cardiologie (AHA) recommande en 2016 d’apporter des ag-Ω3 (environ 1 g/j) chez des sujets ayant un antécédent de coronaropathie ou une insuffisance cardiaque à FEVG réduite. Cette dernière métaanalyse contredit cette recommandation.

Il est possible que, dans le futur, on démontre que des apports plus importants d’ag-Ω3 (soit 3-4 g/jour) ont des effets clairement bénéfiques. De telles études seraient en cours, et d’autres seront à entreprendre, pour répondre à ces questions en suspens !

Professeur émérite, université Grenoble-Alpes, Grenoble
(1) Rizos EC, Ntzani EE, Bika E, Kostapanos MS, Elisaf MS. Omega-3 Treatment Trialist’s Collaborative Study. JAMA. 2012 Sep 12;308(10):1024-33.doi: 10.1001/2012. JAMA.11374. Revue

Pr Serge Halimi

Source : lequotidiendumedecin.fr