Dépression en réanimation

Plaidoyer pour une meilleure prise en charge

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Publié le 28/11/2016
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Crédit photo : PHANIE

La dépression en réanimation n'a fait l'objet que de très peu d'études. « Nous avons l'impression que cela concerne surtout des patients qui séjournent longuement dans nos services, qui ne peuvent être sevrés du respirateur et/ou qui ont des complications, ce qui nécessite de les intuber à nouveau, etc. Très fatigués, ils communiquent de moins en moins au point que se pose à un moment, la question de l'acharnement thérapeutique. Or, à ce stade, donner un traitement antidépresseur (qui va mettre plusieurs semaines à faire effet) est sans doute une réponse trop tardive », estime le Pr Chanques (CHU Montpellier).

Surmortalité

« Pour en savoir plus sur la fréquence de la dépression en réanimation, j'ai regardé ce qu'il en était dans la littérature et n'ai trouvé que deux études. Dans la première, une dépression était recherchée systématiquement dans les 48 heures suivant l'admission de patients tout venant en état de communiquer. Sa prévalence s'est avérée plus élevée que dans la population générale (chez un patient sur trois contre une prévalence de 10 % dans la population européenne). Or ces patients déprimés présentaient une surmortalité. Dans la seconde étude, menée dans un service américain dédié au sevrage ventilatoire des patients compliqués, ce pourcentage de dépressifs à l'entrée dans le service grimpait même à plus de 40 %. Or, là encore, ce diagnostic n'était pas sans conséquence puisque les patients concernés avaient moins de chance d'être sevrés du ventilateur et une probabilité accrue de mourir en réanimation. À l’inverse, la prescription d'un antidépresseur est apparue comme un facteur protecteur de cette surmortalité », explique le Pr Chanques.

Faire appel au psychiatre au moindre doute

« La tristesse (pleurs) et l'absence de plaisir (refus des distractions proposées) doivent être recherchées systématiquement, ainsi que des symptômes moins spécifiques comme le fait de trop dormir ou pas assez, le fait d'être agité ou ralenti sur le plan psychomoteur : il ne faut pas hésiter à faire appel au psychiatre pour confirmer ou infirmer le diagnostic de dépression au moindre doute et si besoin, prescrire un antidépresseur. Traiter la dépression peut toutefois s'avérer compliqué car il existe un risque d'interaction - y compris pour les antidépresseurs inhibiteurs de la recapture de la sérotonine - avec un certain nombre de traitements utilisés en anesthésie (certains morphiniques, antiémétiques, antibiotiques…). Le risque est la survenue d'un syndrome sérotoninergique avec agitation, confusion, puis, tremblements, clonies, hypertonie, etc. Il faut donc constamment faire le meilleur choix possible en tenant compte de son patient dans sa globalité. Enfin, le fait que le traitement antidépresseur, une fois commencé, mette au mieux deux semaines à faire effet (et même six semaines pour 50 % des patients) est un problème car c'est beaucoup trop long dans ce contexte. La solution pourrait donc venir de la kétamine à petites doses en IV, à raison de 2 à 3 injections par semaine, qui a montré son intérêt en psychiatrie dans les syndromes dépressifs majeurs réfractaires, avec une réponse sous 24 heures ! Cette piste est d'autant plus intéressante que ce médicament est déjà bien connu des anesthésistes réanimateurs ! », conclut le Pr Chanques.

D’après un entretien avec le Pr Gérald Chanques, CHU Montpellier.

Dr Nathalie Szapiro

Source : Bilan Spécialiste