A l'Opéra d'Amsterdam

Poppée minimaliste

Publié le 29/04/2001
Article réservé aux abonnés
1276286780Img22133.jpg

1276286780Img22133.jpg

1276286779Img22131.jpg

1276286779Img22131.jpg

1276286780Img22132.jpg

1276286780Img22132.jpg

CLASSIQUE

PAR OLIVIER BRUNEL

P OUR voir ce « Couronnement » et apprécier la direction d'acteurs très dépouillée de Pierre Audy, il faut oublier Rome, l'antique et impériale Rome, au profit d'un univers plus abstrait, délibérément zen, qu'évoquent les décors - si l'on peut dire devant ces espaces vides, à peine peuplés de pierres, sphère, colonnes, mais plutôt les directions -, en tout cas les trajectoires dessinées par Michael Simons pour canaliser l'action, l'orchestre de proportions réduites étant niché dans une fosse triangulaire encochée dans la scène.

Les costumes sont signés par la Japonaise Emi Wada, bénéficiaire d'une nomination aux Oscars d'Hollywood pour sa participation à « Ran », de Kurosawa, et costumière de Peter Greenaway pour « Prospero's Book » et « The Pillow book ». Costumes d'inspiration orientale, somptueux individuellement mais souvent aptes à ridiculiser les personnages.
Est-ce rendre service à Arnalta, la nourrice bouffe de Poppée, pour qui Monteverdi a choisi la voix masculine et dessiné des lignes vocales assez suggestives, que de l'affubler de kimonos somptueux mais extravagants ? Bref, si l'on n'est plus chez César, on ne sait trop où l'on est et l'on pense plus souvent, devant les allures divines des personnages avec lances et allures de géants, à quelque représentation de « L'Or du Rhin » postcheraldienne. C'est aussi castrer « Le Couronnement » que gommer à ce point l'aspect bouffe garanti par les deux nourrices et les valets, pour ne laisser de l'importance, mais en leur enlevant du relief, qu'aux jeux du pouvoir. En cela l'option du chef Christophe Rousset est cohérente avec celle des artisans du spectacle.
Superbe depuis le début de cette production, la distribution s'est enrichie en chanteurs français. Sandrine Piau est passée des rôles de l'Amour et de Damigella, qu'a repris avec bonheur la très expressive Gaële Le Roi, à celui de Drusilla, à qui elle donne beaucoup de passion. Surtout, Jean-Paul Fouchécourt est excellent en Arnalta, qu'il joue sans excès, avec beaucoup de drôlerie pathétique ; et il est le seul qui ait une élocution italienne irréprochable. Dans les silhouettes, on distingue l'exquise Claron McFadden en Valetto, le page d'Ottavia. La Poppée de Cynthia Haymon est d'un format vocal supérieur au reste de la distribution ; le déséquilibre que cela occasionne est le seul reproche qu'on peut lui faire. Le Néron de Brigitte Balleys est noble et tragique. Robert Lloyd en grande forme interprète un Sénèque grave, au timbre net et impressionnant. La voix de l'Ottavia de Graciela Araya, au tempérament très dramatique, est riche, peut-être un peu trop pour l'ouvrage.
Pour avoir souvent beaucoup admiré le sens dramatique du chef et claveciniste français Christophe Rousset dans les opéras de Haendel, notamment ceux donnés en version de concert au Festival de Beaune, il faut ici avouer notre déception devant une fadeur autant dans le choix des tempi, souvent très mous, une platitude d'ensemble, une direction lénifiante qui ne relance pas souvent l'action, et, pire, une monochromie d'ensemble. Le petit orchestre Les Talens Lyriques restant limité au rôle de continuo, auquel Christophe Rousset participe au clavecin et à l'orgue, il sonne bien faiblement dans la salle de proportions plus exigeantes du Muziektheater d'Amsterdam. C'était là le seul point faible d'une soirée lyrique de grande tenue.

Muziektheater Amsterdam, tél. 00.31.20.6.255.455 et www.hetmuziektheater.nl.
Prochain spectacle de l'Opéra néerlandais : « Béatrice et Bénédict » de Berlioz les 3, 6, 8, 11, 18 mai à 20 h ; les 6 et 13 à 13 h.

Une réussite sur CD

On peut retrouver « le Couronnement de Poppée », sur CD, avec l'enregistrement d'une représentation à l'Opéra d'état de Bavière, lors du festival d'opéra de Munich en juillet 1997. Cette version mise en scène par David Alden, sous la direction d'Ivor Bolton, restera dans les annales d'un festival qui a beaucoup perdu de son lustre depuis le départ à la retraite du Generalmusiekdirektor Wolfgang Sawallisch. Elle est servie par une magnifique distribution, dominée par l'Ottone du contre-ténor américain David Daniels et le Sénèque de la basse Kurt Moll, avec des éléments exceptionnels comme la Poppée d'Anna Caterina Antoniaci et la Drusilla de Dorothea Röschmann. La réalisation d'Ivor Bolton, qui tient le clavecin du continuo, est très austère mais fait avancer le drame de manière efficace. Une réussite à placer au niveau de celles d'Alan Curtis et Nikolaus Harnoncourt.

Farao classics (distribution Integral). 1 coffret de 3 CD. DDD.

BRUNEL Olivier

Source : lequotidiendumedecin.fr: 6908