LE QUOTIDIEN DES LECTEURS

Pour une relève des ophtalmos

Publié le 17/10/2012
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Chauny (02)

Dr Jean-Claude Fevre

Médecin hospitalier retraité, ancien chef de service de médecine interne d’une ville de moyenne importance de Picardie, je viens d’être opéré – avec succès – de la cataracte par le confrère qui exerce dans ce même hôpital en plus de son activité libérale. Il va prendre sa retraite dans quelques années, a une grosse activité chirurgicale – que n’a pas son associée récente d’origine roumaine.

Son fils, en fin d’études de médecine, après le résultat des épreuves classantes nationales (ECN), n’a pu obtenir un rang lui permettant d’opter pour un poste d’interne en ophtalmologie (1,5 % de l’ensemble des médecins formés). Or il avait à la fois la motivation et les conditions matérielles requises pour succéder à son père.

Le confrère ophtalmologiste, comme d’ailleurs ses collègues hospitaliers : gynécologue, anesthésiste, pneumologue, cardiologue, tous près de la retraite, sont d’une génération diplômée avant 1980 dans le cadre des CES (certificat d’étude spécialisée) dépendant de la faculté locale.

Mais 1980 a ouvert la valse des réformes des études médicales, en particulier celles promulguées entre 80-81 et 84, supprimant l’internat classique et les CES, et créant un internat qualifiant national (devenu ECN en 2004), filière unique de formation des futurs spécialistes, y compris la médecine générale peu acceptée par les candidats.

Il est aisé de constater maintenant l’échec total de cette « régulation fine » des spécialistes, comme l’avaient été peu avant la suppression de l’externat et l’institution d’un numerus clausus pour juguler la démographie médicale en général. Aucun responsable n’a su adapter les évolutions souvent brutales des techniques et thérapeutiques à la démographie médicale, notamment spécialisée.

L’ophtalmologiste de 2012 n’est plus celui de 1984 qui gérait l’optique courant et le suivi des maladies de l’œil. Son orientation est de plus en plus chirurgicale avec les progrès techniques des interventions (cataracte, DMLA, voire correction optique).

Les demandes explosent, accentuées par le vieillissement de la population, alors que les ENC de 2012 créent moins de spécialistes que les CES de 1980, alors qu’il existe de plus en Picardie une fuite importante de ces nouveaux spécialistes vers leur contrée d’origine, alors que l’appel aux médecins étrangers n’est valable qu’en fonction du niveau de diplôme.

Les besoins ont donc triplé depuis les années 80. La relève n’est plus assurée, il faut doubler le nombre d’ophtalmologistes en formation.

Prévention et confusion

Paris (75)

Dr Bernard Jouanjean

Il faut parfois attendre des années pour se faire comprendre mais un jour, le ciel s’éclaire et ce qui était opaque devient une évidence pour la plupart de ceux qui vous entendent.

Prévenir et prévoir sont deux mots qui se ressemblent. Dans le mot prévenir, il y a sous-jacente la notion de risque et celle d’avertissement par rapport à ce risque. Il y a aussi l’action de se protéger d’un danger. Dans le mot prévoir il y a l’idée d’anticiper un événement que l’on va subir. Aucune notion de risque n’est incluse dans la définition du mot. Ainsi le prospectif est représentatif d’un choix prévisionnel après étude de multiples paramètres interférant sur le sujet concerné. On peut en déduire que la prévention est à la philosophie ce que la prospective est à la politique et à l’économie.

Ce propos est plus de réfléchir à la prévention qu’à la prospective.

Pour un médecin, la prévention a souvent été réduite à un maintien de l’état de bonne santé associant une façon de lutter contre la survenue d’une maladie. De là découlent des conseils de nutrition, de sport, mais aussi sur le style de vie, autant d’arguments intéressants mais totalement insuffisants pour être représentatifs de la prévention. Il faut ajouter à cela les vaccinations qui sont censées nous protéger contre des affections de toutes natures comme la grippe, le tétanos, l’hépatite A et B, et, dans l’avenir, si l’on en croit certains, contre la maladie d’Alzheimer. Or la vaccination, de par l’utilisation de notre propre système de défense immunitaire, met en évidence la prévention autonome de l’organisme.

La prévention a longtemps été présentée et l’est encore en France comme un état de santé en opposition avec la maladie. D’un côté l’homme en bonne santé, de l’autre le malade aigu ou chronique : opposition du blanc au noir. Pourtant, dès le XIXe siècle, Claude Bernard et Louis Pasteur ont été les premiers à mettre en évidence le rôle régulateur de l’organisme. Ainsi, notre taux de sucre varie normalement très peu dans le sang sauf au moment des repas où la glycémie grimpe pour redescendre dans les heures qui suivent et revenir à un état stable d’environ 1 gramme de sucre par litre. Cette première mise en évidence de la régulation de la glycémie sera suivie par de multiples recherches confirmant le rôle de régulateur de l’organisme. Quant à Louis Pasteur, il a compris que l’organisme pouvait mémoriser des événements néfastes pour l’équilibre afin de mieux les combattre par la suite. Ainsi le virus de la rage peut attaquer l’organisme et être combattu par notre système de défense immunitaire si ce dernier a été averti par une injection d’antigènes spécifiques du virus rabique. C’est ainsi qu’est née la vaccination et plus largement, l’immunologie.

Jusqu’à présent, on s’est contenté de présenter la prévention en opposition au curatif si bien que certains médecins ne savent d’ailleurs pas, selon leur approche de la prévention, si une vaccination constitue une prévention primaire ou secondaire. Cela prouve l’absence de repères et le désordre dans les esprits. L’évolution des connaissances médicales permet aujourd’hui de protéger l’organisme de certaines dégradations dues à la présence de facteurs de risque que l’on dépiste de plus en plus systématiquement. Une hypercholestérolémie modérée avec un taux de LDL au-dessus de la normale et un HDL relativement bas présente sur le plan épidémiologique un facteur de risque cardio-vasculaire, etc.

Il faut donc se rendre à l’évidence et constater qu’il existe différentes situations médicales qu’il faut prendre en charge spécifiquement. Un des problèmes réside dans la définition que l’on donne du mot prévention. Certains vous parleront de prévention clinique, d’autres de prévention biologique, d’autres de prévention génétique.

En réponse à l’incidence, à la prévalence d’une maladie, faut-il adopter une définition épidémiologique de la prévention comme en santé publique mêlant les actions individuelles et collectives, médicales et sociales, ou ne serait-il pas plus logique de considérer tout d’abord spécifiquement l’individu puis le plan social comme une étiologie de la maladie parmi d’autres. Ne serait-il pas plus juste de s’appuyer sur la physiologie qui est représentative d’un système de prévention autonome ? En effet, elle procède de mécanismes de régulation internes à l’organisme et nous protège de son mieux chaque jour. De fait, comme chacun voit midi à sa porte, il serait nécessaire de parler le même langage. Tant qu’il n’existera pas de vision commune de la prévention, il n’y aura pas de politique de santé cohérente.


Source : Le Quotidien du Médecin: 9176