Entretien

Pr Maurice Corcos : «Dans les TCA, l’accompagnement des mères en difficulté devrait être une priorité »

Publié le 19/03/2015
Article réservé aux abonnés

Crédit photo : Bogdan-Mihai

Le Quotidien : Comme l’adolescence, la maternité est une période sensible et à risque majeur pour les mères ayant souffert - ou souffrant de TCA - et pour leur enfant. Concrètement, quelles peuvent être les conséquences à court terme, mais aussi au long cours ?

Pr Maurice Corcos : Une femme sur trois souffrant de TCA (tous types confondus) connaîtra un épisode de dépression majeure dans le post-partum. Cet épisode dépressif chez la mère fait courir le risque d’un trouble du développement chez l’enfant (dans un quart des cas). Voilà pour les données avérées, mais évidemment cela se joue pour chaque famille singulièrement et dans l’infra-ordinaire au quotidien. Par ailleurs, deux tiers des patientes boulimiques connaissent des rechutes, en particulier dans le post-partum. En outre, des études de suivi (à 7 ans) ont montré que la moitié des enfants - dont les mères ont une recrudescence ou une aggravation de leur TCA pendant la maternité - présentera des troubles émotionnels, terminologie vague qui peut recouvrir bon nombre de troubles.

Le fait de proposer un accompagnement psychologique ou psychiatrique à ces mères - pendant et après leur grossesse - a-t-il un impact avéré en terme de prévention des risques ?

Si la grossesse des mères souffrant de TCA est une période à risque importante de désorganisation du trouble alimentaire et de ce qui le sous-tend, à savoir l’équilibre émotionnel, le fait qu’un psychiatre et/ou une psychologue soient présents à la maternité est une opportunité majeure, pour elles, de bénéficier d’un accompagnement, d’éviter la rechute et d’asseoir une prévention primaire pour l’enfant.

Comment s’organise la prise en charge psychologique et psychiatrique des TCA à la maternité de l’IMM ?

Depuis une dizaine d’années, un psychiatre et une psychologue du service de psychiatrie de l’IMM consacrent respectivement une demi-journée et l’équivalent d’un mi-temps au service de maternité. Ils participent au « staff » hebdomadaire des équipes de maternité consacré aux situations pathologiques. Lors de cette réunion, les sages-femmes ayant dépisté des TCA chez leurs patientes les adressent soit au psychologue (si le TCA est mineur), soit au psychiatre (quand le TCA engendre des difficultés plus importantes). Tout ceci, en lien avec l’équipe du département mère-enfant. Après l’accouchement, le psychiatre peut participer à la décision de prolonger l’hospitalisation, le temps nécessaire ou de transférer la mère et son enfant dans une unité mère/enfant. À mon sens, un temps de psychologue et de psychiatre devrait être accordé dans toutes les maternités : cela permettrait de dépister très précocement les TCA mais aussi tous types de troubles psychiatriques, voire de situations de vulnérabilité potentielles de la parentalité.

Dans les centres de PMA, beaucoup de femmes consultant pour une infertilité dite « psychogène » ont pu souffrir de TCA. Confirmez-vous ce fait ?

On estime, en effet, le pourcentage à 25 %. Nous avons également montré, dans une étude (bientôt publiée) réalisée avec des endocrinologues français, qu’un grand nombre de femmes consultant ces derniers pour une stimulation de l’ovulation (à l’aide de pompes à GnRH) souffrent de TCA. Le fait d’accéder à la maternité est en soi une source d’épanouissement et une voie de guérison pour certaines patientes. Pour d’autres, c’est une épreuve et/ou un court-circuit de leur problématique. Avant tout traitement de PMA, ou de stimulation par pompes, nous souhaitons que nos confrères proposent un entretien psychologique à toutes leurs patientes chez qui ils ont détecté des antécédents de TCA ou des TCA dits « actifs ». Il ne s’agit pas de leur interdire l’accès à la maternité, mais au contraire de les accompagner dans leur désir parfois complexe de devenir mère.

Les nouvelles techniques de procréation permettent, dans une certaine mesure, de dissocier sexualité et procréation. Quelle est votre analyse sur ce point ?

Le fait, dans certains cas, de se « dégager » du désir dans la relation amoureuse et la maternité n’est pas sans risque si l’on considère le lien substantiel entre désir érotique et affectif. Surtout si c’est ce désir affectif qui ouvre la voie au désir d’enfant. Accompagner des interrelations précoces à risque est essentiel. Les soins maternels sont la réalité objective du monde pour l’enfant, qui garantit l’édification de son équilibre émotionnel et de son estime de soi. Le désir de l’enfant s’étaye sur ses besoins instinctuels et satisfait ceux-ci, au rythme même, où le psychisme de l’enfant s’étaye sur sa mère-monde et la satisfait, en la faisant advenir mère.

Propos recueillis par Hélia Hakimi-Prévot

Source : Le Quotidien du Médecin: 9396