Jacques Faucher, aumônier national du CCMF

Prêtre et médecin, mais pas béni-oui-oui

Publié le 21/09/2010
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Crédit photo : S. TOUBON/LE QUOTIDIEN

Un médecin, une vie

« PETIT-FILS de hussard noir de la République », lance Jacques Faucher, pour dire d’où il vient, avec un grand-père instituteur laïc. « Et enfant de 68 ! », ajoute-t-il pour aggraver son cas, dans un grand éclat de rire. Il avait 15 ans lors des événements. Toute une époque qu’il a aimée, avec, se souvient-il, tant de dynamisme, d’effervescence et de créativité. Et cet esprit d’ouverture qui a caractérisé le concile de Vatican II. « Une autre époque », note-t-il.

L’enfant qu’il était alors jouait à la messe et voulait être missionnaire. Mais, sur l’insistance de son père fonctionnaire, il sera d’abord médecin. Après une thèse sur les aumôneries hospitalières catholiques, protestante et juive, il devient généraliste. Associé temporaire comme remplaçant dans un cabinet de groupe sur la côte landaise, le cabinet de l’Abbaye, à Mimizan, il multiplie cependant les allers-retours à Paris, inscrit au séminaire des Carmes, à l’Institut catholique, pour honorer sa prime vocation.

L’émergence du sujet éthique.

Quand il est ordonné prêtre à 31 ans dans le diocèse de Bordeaux, en 1985, tout en devenant aumônier de groupes de jeunes, à sa grande surprise, il se voit confirmé par son archevêque dans ses activités médicales. Pendant une quinzaine d’années, il continue les remplacements. « Aujourd’hui encore, il reste médecin dans l’âme, estime le président du CCMF, le Dr Bertrand Galichon, avec son réseau professionnel et ses habitudes de langage : souvent, il évoque les symptômes et les syndromes pour identifier les expériences humaines et spirituelles des médecins chrétiens. »

Mais le médecin-prêtre n’en poursuit pas moins ses allers-retours incessants Paris-Bordeaux. Il travaille pendant quinze ans à la rédaction de deux thèses (anthropologie religieuse à la Sorbonne et théologie à la Catho) sur « l’émergence du sujet éthique dans la création du Comité consultatif national d’éthique et son premier avis »**. Dans la foulée, il est happé par toutes les structures éthiciennes qui se montent à l’époque dans sa région (groupe sur l’aide médicale à la procréation au CHU de Bordeaux, groupe de réseau périnatalité de la région Aquitaine, Espace éthique Alzheimer du CHU, Comité de protection des personnes Sud-Ouest). Il mène aussi une carrière d’enseignant-chercheur : bioéthique en Master-pro, formation des infirmières, sages-femmes et médecins, DU de soins palliatifs et de psychiatre périnatale...

En 1996, il lance et dirige l’Espace bioéthique aquitain (EBA), récemment installé dans les murs du CHU. L’EBA, sous sa houlette, est une ruche bourdonnante qui intervient dans les formations intitiales et permanentes, monte et anime des ateliers d’analyses, des groupes de travail, des rencontres régionales et des colloques internationaux. Dans tous ces chantiers, l’interdisciplinaire le dispute au multiculturelle. De la diversité avant tout.

L’inspecteur Colombo au CHU.

Pour vivre le pluralisme dans tous ses états, la méthode Jacques Faucher, comme la définit son auteur, c’est « d’abord l’écoute des acteurs de terrain. La recherche fondamentale doit être mise à leur service. Elle répond à leurs expériences de soignants, avec le souci souverain de leur donner de l’espace. » Pour employer le jargon universitaire, « il s’agit de viser chez chacun l’advenue d’un sujet dans sa parole et dans ses actes ». Le médecin-prêtre s’avance avec une posture empruntée, confie-t-il, à l’inspecteur Colombo, toute en questionnement débonnaire. « Il est tout sauf un sachant qui assène ses avis, il profère poser des questions », témoigne la directrice des soins de l’Institut de formation des soins infirmiers du CHU, Françoise Poirier. « Ce n’est pas un béni-oui-oui, il n’hésite pas à mettre le doigt là où ça fait mal, ajoute le Dr Galichon. Quitte à indisposer des cathos rigides pour qui "Le pape a dit, donc le débat est clos". »

Pas assez catholique, le père Faucher ? « C’est vrai, par son questionnement éthique, il peut déranger ceux que tente l’enfermement doctrinal ou technicien, reconnaît Mgr Ricard, qui lui a confié la délégation diocésaine au monde de la santé. Le cardinal-archevêque de Bordeaux salut « le travail de réflexion dans lequel il excelle, à l’encontre des approches simplistes, révélant la complexité des problèmes et ouvrant de nouvelles pistes. C’est ce qui lui permet de jouer un rôle de pont avec les non-chrétiens. »

Les théologiens qui rient.

Une démarche passionnante mais qui n’est pas dépourvue de risque, juge Nicolas de Brémond d’Ars, prêtre et sociologue (EHESS), son ami et condisciple depuis les Carmes : « Jacques réinterprète avec les sciences humaines des questions éthiques parfois très normatives dans l’Église. Mais il sait en même temps puiser aux meilleures sources, chez Thomas d’Aquin ou Alphonse de Liguori. Et pour désamorcer les conflits, il a aussi son célèbre rire. "Voilà les théologiens qui rient", s’esclaffent les religieuses quand elles nous voient arriver pour les réunions de notre groupe de recherche, à Poitiers. »

« Ce rire, c’est sa manière de ne pas coincer l’interlocuteur lorsque celui-ci rencontre ses propres limites », analyse Françoise Poirier. « Grâce à son humour, il surfe sur les blocages et détend les crispations, note le Dr Galichon, en réussissant toujours à mettre en valeur le contexte individuel. »

Au CCMF, où il a débarqué il y a deux ans, coopté par Mgr Michel Guyard, l’évêque du Havre en charge de la pastorale de la santé, de telles qualités sont bienvenues. « Près d’un demi-siècle après Humanæ Vitæ, les médecins français, constate leur aumônier national, ne sont toujours pas sortis de leurs fractures, notamment générationnelles. Avec le CCMF, après le temps des lamentations, nous tentons de leur ménager un lieu où ils peuvent librement débattre de leurs pratiques et de leurs réflexions, sans risquer les anathèmes. L’enjeu n’est pas de sauver le CCMF, mais de le mettre au service des médecins, quitte à ce qu’il disparaisse un jour. C’est comme en médecine, conclut-il par son éclat de rire, on n’est pas sûr de grand-chose. »

* À noter le nouveau site www.ccmf.fr.

**Le premier avis du comité d’éthique, en date du 22 mai 1984, porte sur « les prélèvements de tissus d’embryons et de fœtus humains morts, à des fins thérapeutiques, diagnostiques et scientifiques ».

CHRISTIAN DELAHAYE

Source : Le Quotidien du Médecin: 8819