VÉRITé ET MALADIE, secret médical mis à mal, science et connaissances, état de bien-être au travail, accouchement à risque : autant de sujets touchant à la santé, en prise directe avec la vie concrète des gens, qui deviennent familiers aux magistrats de la Cour de cassation. La haute juridiction pénale en a fait le thème de son rapport 2007.
Les affaires de santé, bien sûr, ne constituent pas l'essentiel des dossiers traités par la haute juridiction pénale, mais, à l'instar des discriminations – qui feront l'objet de son prochain rapport annuel –, elles apparaissent, sous forme jurisprudentielle, parfois, comme des indicateurs de l'évolution de la société, à moins que celle-ci ne précède les mutations du droit pénal.
Il n'est qu'à considérer l'arrêt Perruche du 17 novembre 2000 sur le lien de causalité entre une faute médicale (non- information d'une femme enceinte atteinte de rubéole sur les conséquences de son affection pour son futur enfant) et un handicap congénital. Tout en ayant produit l'effet d'un cataclysme, il intervient à un moment où la société se pose des questions sur la place des personnes vulnérables. Tout aussi explosif semble l'arrêt du 6 février dernier : pour les hauts magistrats, un foetus né sans vie, indépendamment de son poids et de la durée de la grossesse (550 g et 22 semaines, jusqu'alors), peut faire l'objet d'une déclaration à l'état civil.
Des équilibres évolutifs.
Les deux situations appartiennent à un mouvement sociétal. Pour autant, en dépit de leur sens symbolique, on doit relativiser la portée de telles décisions jurisprudentielles. Pas plus que la naissance d'un enfant lourdement handicapé ne saurait être «la faute de» une fois pour toutes, il n'est pas dit par la jurisprudence que le foetus s'apparente à une personne. Les arrêts, poursuit en substance Frédérique Dreiffus-Netter, spécialiste du droit de la santé (professeur à Paris-Descartes), qui a donné forme au rapport 2007 de la cour, traduisent «des équilibres, précaires et évolutifs, entre des intérêts contradictoires».
Sur d'autres sujets concernant la santé, plus quotidiens, la haute juridiction pénale joue un rôle protecteur au niveau des droits des malades ou encore du devoir des médecins et des employeurs.
Le rapport, publié par La Documentation française (610 pages, 25 euros), est en ligne sur le site de la Cour de cassation (www.courdecassation.fr).
Des décisions récentes
Information du patient
Dans une affaire récente (arrêt du 31 mai 2007), mettant en scène un accouchement, il est convenu avec la parturiente qu'une césarienne aura lieu. Or le médecin, dans l'urgence, modifie son diagnostic. Il procède à un accouchement par la voie naturelle, qui n'empêche pas à l'enfant de naître handicapé. La femme reproche alors au praticien de n'avoir pas sollicité son accord. Si la décision de justice ne lui permet pas d'obtenir gain de cause, en raison de l'impossibilité d'opter médicalement pour une autre solution, il reste que les hauts magistrats donnent au malade sur son propre corps des droits que l'homme de l'art doit respecter au-delà du caractère technique des diagnostics.
Secret médical
Dans un arrêt du 15 mai 2007, un chef d'entreprise, que son état de santé prive de la direction de son fonds de commerce, crée une société anonyme dans laquelle il se fait seconder par son épouse et son fils. Sa santé s'aggravant, il est placé sous protection judiciaire et, dans le cadre d'une procédure de faillite, son état de mal-être est divulgué. Il n'apparaît pas possible d'opposer l'intimité de la vie privée et le secret médical, dit la justice, car il est de l'intérêt de la société, des actionnaires et des créanciers de savoir dans quelles conditions et pourquoi les proches du patron ont été appelés à exercer des pouvoirs dont ils ne devaient normalement pas disposer.
Deux adolescents atteints d'une grave maladie neuro-musculaire acceptent de participer au Téléthon. Ultérieurement, et pour illustrer un ouvrage d'intérêt général sur leur affection, des photos prises à la télévision sont publiées sans leur consentement. Pour la cour (arrêt du 14 juin 2007), la publication n'ayant pas la même finalité que la prestation télévisée, et faute d'avoir sollicité d'autorisation, l'éditeur a porté indûment atteinte à leur vie privée.
Incertitude scientifique
Un médecin, exerçant dans un immeuble, se débarrasse d'une seringue dans un sac poubelle d'ordures ménagères. L'employé du service de ramassage se pique et contracte le VIH. La haute juridiction admet que la piqûre a pu être l'origine de la contamination, tout en n'excluant pas «bien d'autres causes» (arrêt du 2 juin 2005).
Santé au travail
Un chef de site d'une société harcèle en l'injuriant, au moyen de son téléphone portable professionnel, l'une de ses subordonnées. Dans ce contexte, la Cour de cassation approuve le licenciement pour faute grave du harceleur (arrêt du 4 avril 2006). Dans deux autres arrêts, des 22 mai 2002 et 24 février 2004, elle considère comme valable la même sanction à l'endroit d'un salarié d'une entreprise de travaux publics, dont il est démontré qu'il conduit en état d'ébriété, son comportement mettant en danger les personnes.
La haute juridiction confirme, par ailleurs, un jugement d'appel (arrêt du 22 février 2007) relatif à la tentative de suicide d'un employé en congé maladie. Elle considère que le travailleur peut bénéficier de la législation du travail dès lors que son équilibre psychologique se trouve gravement compromis à la suite d'une dégradation continue des relations professionnelles et du comportement de l'employeur. A l'inverse, elle invalide le licenciement pour dopage d'un coureur cycliste par son club. Elle juge qu'il n'a pas commis de faute en négligeant de déclarer sur son carnet de santé un traitement subi, en l'occurrence des injections intra-articulaires de glucocorticoïdes, justifié «médicalement» (arrêt du 23 mai 2007).
Médecine carcérale
Si l'intervention du médecin constitue désormais un droit de la personne gardée à vue, au stade de l'exécution des peines de prison, la question de la santé pose des problèmes récurrents. Dans l'affaire Papon, il a été soutenu que la dangerosité du condamné peut empêcher sa sortie. La Cour de cassation, elle, «conformément à l'esprit de la loi» du 4 mars 2004 sur les prisonniers en fin de vie ou gravement malades, ne retient pas un tel argument (arrêt du 12 février 2003). Le 15 mars 2006, elle réitère une décision similaire en faveur d'un condamné à la réclusion criminelle à perpétuité.
Bioéthique
Le 2 octobre 2007, la chambre criminelle de la Cour de cassation se prononce sur des blessures involontaires portées sur un foetus, constatées après la naissance. L'obstétricien quitte la salle d'accouchement sans consulter le dossier médical, alors qu'il a été informé par la sage-femme de la rupture prématurée des membranes, d'anomalies du rythme cardiaque foetal montrées par le monitorage et de la prématurité, ce qui aurait dû le conduire à faire une césarienne. L'enfant naîtra handicapée à 90 %. Pour la cour, le médecin est l'auteur d'une faute ayant occasionné au nouveau-né des lésions irréversibles.
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