Les médecins ont-ils joué un grand rôle politique sous la IIIe et IVe République ?
C’est un sujet qui n’a pas intéressé les historiens. Cela s’explique surtout parce que les domaines de l’histoire politique ont été visités à travers les vues partisanes, l’évolution de l’opinion publique et peu à travers le prisme des catégories socio-professionnelles. Certes des études ont été consacrées aux avocats parlementaires. Mais ils représentaient dans la IIIe république l’écrasante majorité des élus des deux assemblées. C’était le temps de l’art de l’éloquence. La grande différence entre le parlement des IIIe et IVes Républiques et celui d’aujourd’hui repose sur l’absence de discipline dans les partis de gouvernement. Les ambitions d’alors conduisaient à la constitution de clans au sein d’un même parti. Du coup, un discours brillant suffit pour faire basculer une assemblée. Un exemple célèbre est celui de la Communauté européenne de défense (CED). La France avait ratifié l’accord. Mais Edouard Herriot prononce un grand discours contre son principe à l’Assemblée nationale. On vote alors la question préalable. Et la CED est définitivement abandonnée. Ce phénomène est toutefois en déclin au fil du temps. Au XIXe siècle, le parlementaire est relativement libre de son vote. Pour autant, ce temps de l’éloquence n’exclut pas les médecins. S’impose ici la figure de Clémenceau. Dans les années 1870, il est médecin des pauvres à Montmartre et en même temps maire du XVIIIe arrondissement de Paris. Le Tigre comme l’illustrent de nombreuses caricatures de l’époque s’impose rapidement comme un personnage politique de premier plan grâce à son éloquence particulière. Il ne fait pas de grandes phrases. Mais attaque son adversaire par des incises avec des images fortes. C’est un tombeur de ministères. Il abandonne alors l’exercice médical. Les médecins qui se lancent alors en politique attendent plutôt la fin de leur carrière. Ce sont souvent des médecins de campagne. En l’absence de chiffres disponibles pour les députés, ils jouent un rôle important au Sénat. Dans les années de l’entre-deux-guerres, ils représentent la troisième catégorie après les juristes et les propriétaires agricoles.
Dans quels partis s’inscrivent ces médecins ?
En général dans les partis du centre et de droite. Ils sont très peu nombreux à gauche.
Des médecins sont-ils nommés à la tête du ministère de la Santé ?
Sous la IIIe et IVe république, l’expertise n’est pas un facteur déterminant du choix d’un portefeuille ministériel. C’est une idée récente. Les problèmes sont d’abord politiques. Certes, dans les cabinets, le ministre doit disposer de compétences spécifiques. Mais le ministre s’inscrit dans une politique gouvernementale. Le gouvernement des experts ne doit pas remplacer le gouvernement des politiques qui sont des élus de la nation souveraine. Cette idée que les experts doivent devenir ministres comme aujourd’hui sous l’ère Macron est alors rejetée comme portant atteinte aux principes républicains. Le Dr Henri Queuille dont la carrière a connu sous ces deux Républiques une exceptionnelle longévité, est nommé à plusieurs reprises président du Conseil. Son domaine d’élection est toutefois le ministère de l’Agriculture. Elu de circonscription d’Ussel en Corrèze, c’est le médecin type de campagne. Il abandonne rapidement la médecine. Lorsqu’il est déchu de son mandat de député par le régime de Vichy, avant de partir à Londres, il devient pour gagner sa vie marchand de bois. Et n’imagine pas de retourner à la médecine. Très sympathique, il avait une manière pour le moins originale de régler les problèmes politiques. Sa méthode face à des problèmes complexes ne prônait pas l’action. Ils devaient généralement se résoudre par eux-mêmes. (« Il n’est pas de problème dont une absence de solution ne finisse par venir à bout »)
Les médecins ont longtemps été une force conservatrice.
A de nombreux égards. Sous la IIIe République, l’influence des médecins a été conservatrice, voyant très mal par exemple la concurrence de médecins surtout juifs venant de l’Europe de l’Est. Le pouvoir médical a été au moins corporatiste. La défense des intérêts des médecins a constitué une force agissante. Même si elle n’est pas l’apanage des médecins. Tout corps professionnel menacé de modification de statut, appelé à changer ses moyens de rémunération a tendance à s’en défendre. La médecine a toutefois plus de moyens de se faire entendre, comparée à d’autres groupes professionnels. Par ailleurs, persiste le respect du médecin dans l’opinion publique choquée à l’idée que l’on puisse attenter à l’autonomie, au pouvoir de décision du « bon médecin ». La médecine demeure efficace.
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