De notre correspondant
C HEF du service d'endocrinologie à l'hôpital Lyon-Sud, président de la Société européenne de recherche sur la thyroïde et membre de la commission d'expertise de l'InVS depuis sa création il y a près de deux ans, le Pr Jacques Orgiazzi est sorti de sa réserve après la publication de l'étude de la CRII-Rad. Menée quinze ans après le passage du nuage radioactif de Tchernobyl en France, en 1999 et 2000, cette étude constate en substance la disparition dans les régions de l'Est de toute trace d'iode 131, mais y vérifie la présence, en fortes quantités parfois, de césium 137 (« le Quotidien » du 26 avril).
Pour le Pr Orgiazzi, il convient d'emblée, après cette publication et l'écho médiatique qu'elle a rencontré, de lever une ambiguïté : « Le césium 137 n'entraîne nulle pathologie humaine, en tout cas aucune maladie connue ne peut lui être imputée. » Une précision importante, notamment pour les populations qui vivent à proximité des zones de montagne ou de moyenne montagne (Vercors, Mercantour et Corse), où la CRII-Rad a effectué ses mesures.
A la question ultrasensible - des plaintes de malades sont en cours d'instruction - de la responsabilité dans l'accroissement des cancers thyroïdiens en France du passage dans le ciel français du nuage radioactif, le Pr Orgiazzi, soucieux de « rester dans les limites de la science pure et dure », c'est-à-dire de ce qui « peut aujourd'hui être démontré », répond en scientifique : rien ne peut être prouvé pour l'instant, et il est hautement improbable que l'on parvienne, à terme, à des conclusions tranchées. Ne serait-ce qu'à cause des spécificités des tumeurs thyroïdiennes, ou encore de la difficulté à prouver une relation directe entre l'apparition d'un cancer et l'exposition à une très faible dose de rayonnement ionisant.
En France et en Ukraine
Dans le prérapport qu'elle vient de remettre à Bernard Kouchner, la commission pluridisciplinaire de l'InVS, composée d'une trentaine de spécialistes qui croisent leurs compétences dans le domaine de la thyroïde (endocrinologues, biologistes, cancérologues, spécialistes de médecine nucléaire, épidémiologistes, chirurgiens...), se montre toutefois prudente. En résumé, elle confirme que l'ensemble des travaux épidémiologiques en cours, dont de nouveaux résultats sont attendus fin 2001, « suggèrent que l'accroissement des cancers thyroïdiens diagnostiqués résulte d'un meilleur dépistage des maladies thyroïdiennes qui est lié aux performances des pratiques médicales et techniques ». Et estime par conséquent qu' « on peut dire qu'il n'y a en France aucune évidence que l'accroissement du nombre des cancers thyroïdiens soit un effet Tchernobyl ».
D'autant que « cet accroissement de la prévalence des cancers thyroïdiens se vérifie dans toutes les régions du monde », et que, en Europe, la courbe ascendante débute dès 1975, soit onze ans avant l'accident de Tchernobyl.
Ce prérapport conclut à la nécessité de « poursuivre la recherche de tous les facteurs autres qui pourraient être impliqués » (dans l'augmentation de la prévalence des tumeurs thyroïdiennes). La prochaine étape de ce dossier est donc attendue pour fin 2001-début 2002, avec de nouveaux résultats épidémiologiques. Elle coïncidera avec la publication des travaux du Dr Hélène Cardis (Centre international de recherche sur le cancer), qui étudie l'épidémiologie des cancers dans la population adulte d'Ukraine.
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