Il Y A TRENTE ANS, le Dr Mary Smith* franchit l'Atlantique, et entre à l'AP-HP en tant que praticienne attachée consultante. Elle y est restée.
Le jour où elle est tombée malade, le miracle de la médecine française a opéré. «J'ai reçu des soins de qualité, et je n'ai rien eu à débourser.» Après ce « good point » vient une flopée de critiques plus ou moins acerbes sur notre système de santé, bien éloignées des éloges de Moore. La première pique vise le sort réservé aux médecins étrangers. «Aux Etats-Unis, dit le Dr Smith, c'est difficile d'y arriver, mais une fois que vous avez l'examen de reconnaissance, vous êtes accepté à 100%. Ici, en France, vous avez des médecins de deuxième, troisième, quatrième catégorie que vous exploitez: ce n'est pas honnête du tout, c'est même épouvantable.»
Tout aussi déroutante lui apparaît l'ambiance régnant dans les hôpitaux parisiens. «Dans les salles de soins, reprend le Dr Smith, j'ai vu des quasi-révolutions au sein du personnel, des jeux de pouvoir. C'est très difficile de diriger des gens en France.» Les grèves à répétition continuent de la surprendre. Quand les femmes de ménage raccrochent la serpillière des jours durant, «c'est comme si le tiers-monde voulait dicter sa loi à l'hôpital, déclare le Dr Smith, qui ne s'embarrasse pas du politiquement correct . Personne ne semble capable de contrôler la situation, c'est incompréhensible.» Les patients français ? «Impolis, pressés, jamais contents.» Et les soignants ? «Ils se plaignent trop ouvertement devant les malades.» Nous voici rhabillés pour l'hiver, et chaudement.
Susan Byrd est moins catégorique. Cette sexagénaire retraitée du gouvernement fédéral a fui Washington DC précisément en raison de la médiocrité du système de santé américain. Et c'est en France qu'elle a décidé de s'installer. Sans regrets : «J'ai eu de très mauvaises expériences dans des hôpitaux américains, comme ce que montre Michael Moore. Là-bas, les médecins sont des businessmen, ils ne pensent qu'à l'argent, alors qu'ici ce sont de vrais professionnels. Depuis un an que je vis en France, je suis suivie par cinq spécialistes différents: c'est formidable.»
Egalement en France pour y couler une retraite paisible, le Dr Elisabeth Rand, qui a été psychiatre dans l'Alabama, a la dent moins dure que le Dr Smith s'agissant du système sanitaire hexagonal. Notre Sécurité sociale l'impressionne tout particulièrement. «Le financement des soins aux Etats-Unis est notre problème numéroun. Des millions de gens n'ont pas de couverture: le droit à la santé pour tous n'existe pas.» Autre point fort que relève le Dr Rand : la qualité des relations médecin-patient de ce côté-ci de l'Atlantique. «Aux Etats-Unis, reprend-elle, ces relations sont tendues à cause de la crainte d'un procès. Les consultations sont expéditives: de 6 à 8minutes en médecine générale. Comme les études de médecine coûtent très cher (entre 40 000 et 50 000 dollars par an, de 29 350 à 36 650 euros) , les jeunes médecins débutent endettés: ils doivent enchaîner.»
Un million de dollars de prime d'assurance professionnelle.
Cap sur le quartier new-yorkais de Manhattan. Enceinte de cinq mois, Eunhee Park a fait ses comptes : payer une nourrice pour son bébé lui coûtera trop cher. Elle vient donc de démissionner, et c'est son mari qui assurera seul les revenus du ménage jusqu'à l'école. La jeune femme, parce qu'elle est enceinte, est prise en charge à 100 %. Mais deux mois après la naissance, il lui faudra souscrire une assurance privée pour le moins ruineuse : 790 dollars par mois (580 euros) pour elle et son enfant. De quoi y réfléchir à deux fois. «Peut-être vais-je me passer d'assurance privée, se demande la jeune Coréenne . En cas d'ennui de santé, cela nous coûterait moins cher d'aller nous faire soigner en Corée ou en Israël», d'où est originaire son mari.
En plein coeur de Manhattan, sur Park Avenue, le Lenox Hill Hospital accueille les habitants du quartier «le plus riche du monde», selon l'un de ses praticiens. Le Dr Didier Loulmet est chirurgien cardiaque. Formé à l'hôpital Broussais (AP-HP), il s'est laissé tenter par l'aventure américaine il y a quelques années, et ne le regrette pas. Ses revenus ont été multipliés par vingt. Sa prime d'assurance a bondi également : 75 000 dollars par an. «J'ai mes procès, comme chaque médecin ici», confie le Dr Loulmet. Certains obstétriciens déboursent jusqu'à 1 million de dollars pour s'assurer, une folie.
Sans nier les limites du système américain – «Les Français sont en meilleure santé grâce à la qualité du boulot des généralistes, c'est une évidence», déclare-t-il –, le Dr Loulmet tient cependant à souligner certains points forts propres aux Etats-Unis. «L'organisation des hôpitaux est bien meilleure ici: ce sont des entreprises gérées, contrôlées. Les hôpitaux ne gagnent pas d'argent, mais leur survie est assurée par les «“harity days” où des célébrités signent de gros chèques. En France, l'Etat paye, mais personne ne sait qui gère les hôpitaux qui sont des gouffres.»
Ce chirurgien souffre-t-il de pressions économiques l'incitant à trier ses patients ? «Pas du tout, ce cliché véhiculé en France n'est pas fondé. Aux Etats-Unis, il n'y a pas de discrimination liée à l'âge car, au-delà de 65ans, les gens sont pris en charge par Medicare. De même, il n'y a aucune limitation dans les traitements et les examens.» La médecine américaine, une médecine de riches ? «C'est vrai qu'il y a des gens non assurés, mais mon hôpital, par exemple, ne refuse personne. On soigne les pauvres du Bronx comme les riches de Manhattan», assure le Dr Loulmet.
Les hôpitaux n'obéissent sans doute pas tous aux mêmes règles. Susan Byrd en a fait les frais, qui dit pourtant appartenir à la classe moyenne. «Je suis venue en France car le système américain est un système pour les riches. Je ne pouvais pas m'en sortir.»
* Le nom de ce médecin a été modifié à sa demande.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature