E ST-IL besoin de rappeler que la DMLA est la cause la plus fréquente de cécité chez les personnes de plus de 50 ans dans le monde industrialisé ? Ce qui, avec le vieillissement de nos populations, fait de la DMLA un problème d'envergure nationale. L'utilisation de la vertéporfine repose sur le principe de la thérapie photodynamique : cette molécule, après activation par la lumière, permet la destruction de tisus néoformés sans léser les tissus sains environnants. Une approche thérapeutique qui s'est développée en collaboration avec des chercheurs américains et canadiens. Les études précliniques qui valident le concept de thérapie photodynamique avec la vertéporfine ont été effectuées au Massachusetts General Hospital de Boston.
Au début des années quatre-vingt-dix, un partenariat est établi entre Ciba Vision Ophtalmics et QLT Incorporated, société canadienne qui avait découvert la molécule, une porphyrine de deuxième génération.
Sept années de travaux ont été nécessaires pour mettre au point une préparation lipophile de vertéporfine pour injection I.V., concevoir un laser spécifique et assurer le développement préclinique et clinique d'une molécule qui présentait deux qualités essentielles : une sélectivité pour les néovaisseaux choroïdiens et une élimination rapide qui permet de minimiser le risque de photosensibilité cutanée.
Les essais cliniques ont montré que la vertéporfine permettait de retarder la perte d'acuité visuelle et de préserver la vision des patients pendant vingt et un mois et de conserver la sensibilité au contraste ; chez certains patients, on note une amélioration de l'acuité visuelle. En outre, la tolérance du traitement est bonne, ce qui autorise une excellente adhésion des patients au protocole thérapeutique.
Ces résultats ont conduit les autorités à accorder une ASMR (amélioration du service médical rendu) de niveau I, ce qui est une première en ophtalmologie : il est vrai qu'il s'agit du premier traitement médical qui ait démontré une efficacité significative sur la DMLA avec néovascularisation, forme particulièrement sévère de la maladie.
L'histoire de Visudyne pourrait d'ailleurs se poursuivre dans d'autres domaines, car le mécanisme d'action original de la molécule justifie une évaluation dans d'autres aires thérapeutiques, en particulier la cardiologie et l'oncologie.
Lutter contre l'intoxication par éthylèneglycol
Le jury du Galien a également tenu à récompenser le fomépizole, molécule originale à plus d'un titre. En effet, ce médicament vise à combattre une intoxication relativement rare, mais qui engage un pronostic vital et comporte des risques importants de séquelles neurologiques et rénales : l'intoxication aiguë par l'éthylèneglycol. De plus, le traitement conventionnel de cette intoxication faisait appel à l'éthanol, traitement contraignant (nécessité d'une administration continue et d'ajustements posologiques fréquents), mal toléré (effets secondaires connus d'éthanol, en particulier sur le système nerveux central), invasif et coûteux, car il fait souvent appel à l'hémodialyse en raison des difficultés de maniement de l'éthanol.
Le fomépizole, puissant inhibiteur de l'alcool déshydrogénase hépatique, s'oppose à la formation, à partir du glycol de métabolites toxiques, responsables de l'essentiel des effets de l'intoxication.
Surtout, le fomépizole présente plusieurs avantages sur l'éthanol outre la puissance très importante d'inhibition de l'alcool déshydrogénase : une vitesse d'élimination plus lente, une bonne tolérance clinique, notamment neurologique, une plus grande facilité d'emploi.
L'originalité du fomépizole AP-HP tient aussi aux conditions de sa découverte et de son développement, puisqu'il est le fruit d'une collaboration entre trois services appartenant à l'Assistance publique de Paris : une équipe clinique, le service de réanimation médical et toxicologique du Pr Frédéric Baud (groupe Lariboisière - Fernand-Widal), qui, à la lecture des données bibliographiques, a décidé d'utiliser le fomépizole ; une équipe de toxicologie analytique, le service du Pr Alain Astier (hôpital Henri-Mondor de Créteil) qui s'est chargé du dosage de l'éthylène glycol dans le plasma des patients intoxiqués ; enfin, une équipe de développement des médicaments (établissement pharmaceutique de l'AP-HP de la pharmacie centrale des Hôpitaux de Paris, dont le pharmacien responsable est le Dr Dominique Pradeau). Cette équipe a mis au point le médicament et obtenu son AMM.
Ce produit permet un traitement précoce de l'intoxication par le glycol, gage d'une amélioration importante du pronostic, même dans des hopitaux qui ne disposent pas d'un service de dialyse. Lui aussi, fort logiquement, a reçu une ASMR de niveau I.
Jean-Charles Schwartz : histamine, dopamine et neuropeptides
Dans le monde de la recherche, on ne présente pas Jean-Charles Schwartz, pharmacien et docteur ès sciences qui, depuis 1998, dirige l'IFR Broca - Sainte-Anne, regroupant 8 unités de recherche INSERM et services cliniques, et qui est également vice-président du conseil d'administration de l'INSERM. Le curriculum de Jean-Charles Schwartz est trop long et prestigieux pour être résumé ici, d'autant qu'il vient de s'allonger : Jean-Charles Schwartz a reçu le prix Galien, volet recherche.
Une récompense bien méritée par l'auteur et par son équipe l'unité INSERM 109, qui se sont consacrés à l'identification de cibles moléculaires conduisant à de nouvelles classes utilisées comme outils pharmacologiques et pouvant mener à la découverte de médicaments nouveaux. Des recherches ont été menées dans des domaines différents, dont on retiendra les principaux :
- L'histamine cérébrale. Jean-Charles Schwartz et son équipe ayant découvert le récepteur H3, ainsi que les premiers agonistes et antagonistes, dont certains ont conduit à des essais cliniques. En 2000, la même équipe a montré la nature constitutive du récepteur H3 en l'absence d'histamine.
- Des récepteurs de la dopamine, avec la découverte d'isoformes du récepteur D2 avant la démonstration d'existence d'un récepteur D3. Un premier agoniste D3 est actuellement en essai clinique de phase II, principalement dans le traitement des toxicomanies.
- Les neuropeptidases : la première enzyme étudiée a été l'enképhalinase dont un inhibiteur a été mis au point avec la collaboration de l'équipe de B. Roques, un autre prix Galien. Un second inhibiteur, le racédotril, étudié en collaboration avec Jacques Costentin (Rouen), a révélé des effets antisécrétoires : il est devenu le Tiorfan, antidiarrhéïque commercialisé dans plus de cinquante pays.
En allant plus loin, M. Schwartz, en collaboration avec Pierre et Lucette Duhamel, a mis au point les premiers inhibiteurs mixtes de l'enzyme de conversion de l'angiotensine et de l'enképhalinase, à activité antihypertensive. L'un de ces inhibiteurs de vasopeptidase, le fasidotril, est en essai clinique de phase IIb.
Ces exemples montrent l'importance des recherches réalisées par l'équipe de l'unité INSERM 109 de Jean-Charles Schwartz animée également par J.-M. Arrang, P. Sokoloff et R. Pumain. En outre, les développements de ces recherches sont les signes avant-coureurs de l'évolution des rapports entre équipes de recherches publiques et industries privées. D'une part, le développement de certaines molécules a été mené conjointement avec d'autres équipes de recherches publiques (B. Roques, J. Costentin et C. Wermuth). D'autre part, ce développement a abouti dans certains cas à des médicaments, ce qui a conduit J.-C. Schwartz à cofonder avec Jean-Marie Lecomte Bioprojet Pharma, un laboratoire qui a déjà commercialisé le Tiorfan et qui développe le fasidotril, auquel il est fait allusion plus haut.
Des types de collaboration fréquents dans le monde anglo-saxon, mais encore trop rares dans notre pays.
Au total, on peut donc dire que le Galien 2001 nous a réservé une cuvée de très haut niveau et que, en outre, il nous permet de découvir toutes les facettes complémentaires de la recherche pharmaceutique moderne.
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