Les bouleversements du monde occidental

Un changement de paradigme

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Publié le 07/06/2018
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Un changement de paradigme

Un changement de paradigme
Crédit photo : AFP

Si les dirigeants du G7 s'expriment avec franchise, vendredi et samedi, la somme des reproches l'emportera largement sur celle des constats satisfaits. Ce qui unissait le groupe il y a encore deux ou trois ans a en effet disparu. Il était inimaginable, en 2015, que les Etats-Unis se lancent dans une politique protectionniste, que le Royaume-Uni décide de quitter l'Union européenne, que l'Italie se donne un gouvernement composé de néo-fascistes et de populistes. Les pays dont la philosophie reste conforme aux principes qui ont fondé ce forum international, à l'époque où Valéry Giscard d'Estaing était président de la France, sont encore l'Allemagne, le Japon et la France. A la suite de l'annexion de la Crimée, la Russie a été priée de quitter ce qui était alors le G8 en 2014. La suite a montré que, parmi les Occidentaux, des gouvernements imprévisibles et capricieux pouvaient, à leur tour, adopter des postures aussi agressives que celles de Vladimir Poutine.

Le G7 du Canada ne pourra que consacrer le changement de paradigme. Il ne s'agit plus, désormais, d'encourager sans cesse le libre-échange, les libertés individuelles, l'harmonie des relations diplomatiques, la recherche des solutions négociées, ou la paix. Il s'agit d'imposer sa volonté aux autres, de dominer la salle de réunion, de tirer n'importe quel avantage, à court terme, du rapport de forces. Le G7 de Charlebois sera soit un ring de boxe soit une formalité d'où seront exclus les vrais poblèmes. Certes, l'Amérique de Donald Trump n'a pas encore renoncé à son rôle militaire et diplomatique. Après quelques velléités isolationnistes, le président américain s'est hâté de corriger le tir en renforçant sa présence dans les Etats limitrophes de la Russie. Des manœuvres militaires importantes viennent d'avoir lieu dans les Etats baltes. C'est essentiel pour la survie de l'OTAN et pour dissuader Moscou de toute nouvelle agression, mais ce n'est pas tout.

La Grande-Bretagne, double victime

On voit mal en effet ce que Justin Trudeau, Premier ministre du Canada, peut encore dire à Donald Trump, dès lors que les Etats-Unis, depuis le 1er juin appliquent une hausse sensible des tarifs douaniers sur les importations d'acier et d'aluminium. On voit mal comment les interlocuteurs de Trump, tous frappés par la même mesure, pourront parler de sujets différents, alors qu'ils sont obligés d'envisager des représailles commerciales contre Washington. Le cas le plus déplorable, c'est celui de la Grande-Bretagne qui, ayant choisi le Brexit avec l'espoir de conclure avec les Etats-Unis de vastes accords commerciaux, se retrouve doublement victime de son propre protectionnisme et de celui de l'Amérique.

Le nouveau paradigme, c'est le nationalisme. M. Poutine doit penser que, décidément, les Occidentaux, qui passent leur temps à le fustiger, sont en train d'imiter ses méthodes. M. Trump a créé un climat tellement malsain qu'il encourage chacun des gouvernements du G7 à défendre avant tout ses propres intérêts, même si la commission de Bruxelles tente d'apporter une réponse unifiée aux décisions disruptives de Washington. Si l'on en croit le programme du nouveau gouvernement italien, ce sera Italia prima, après America first , avant la France d'abord et Deutschland über alles. Personne ne semble comprendre qu'on ne peut pas être dix ou cinquante à occuper la première place. Le nationalisme, disait Romain Gary, c'est le cancer du patriotisme. Et c'est en même temps la chose la plus facile à exalter, alors que le compromis issu du dialogue prend plus de temps et exige plus d'intelligence qu'il n'alimente les passions.

Comme, en outre, M. Trump envisage d'autres mesures destinées à résorber le déficit de son commerce extérieur, on peut parier qu'il fera au Québec des annonces tout aussi détestables que les précédentes. Un G7 où l'on ne sera pas loin de s'envoyer de la vaisselle à la figure. Et si le communiqué final souligne l'harmonie des discussions, vous pourrez traiter les signataires de fieffés menteurs.

Richard Liscia

Source : Le Quotidien du médecin: 9671