« Le caractère limité des moyens financiers dévolus au système hospitalier implique des choix de société éthiques qui doivent conduire à des prises de position publiques. La dimension éthique de ces modes de décision doit être clairement identifiée dans les méthodes d’évaluation dont elle devrait être partie intégrante. Une pratique d’évaluation qui ne retiendrait que des critères paramétrables quantitativement et ne prendrait pas en compte les critères qualitatifs et cette dimension éthique ferait courir à l’hôpital un risque grave de déshumanisation, mais aussi, finalement et pragmatiquement, de surcoût induit. »
Ce texte, qui résume parfaitement les différentes craintes et attentes des acteurs de l’hôpital public confrontés aux dérives de la tarification à l’activité est en fait le premier point de la conclusion de l’avis n° 101 du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) pour les sciences de la vie et de la Santé. Un avis daté du… 28 juin 2007 et que l’on s’est bien gardé de prendre en compte, préférant mettre en avant l’hôpital entreprise, plutôt que de considérer l’autre avertissement du CCNE dans cet avis, à savoir que « le concept de rentabilité ne peut s’appliquer à l’hôpital de la même manière qu’à une activité commerciale ordinaire ».
T2A et manque de sens
Or, que disent aujourd’hui la plupart des acteurs hospitaliers ? À l’instar de Bernard Rouault, administrateur du groupement de coopération sanitaire Amplitude, implanté en Côte-d’Or, la demande n’est pas de supprimer la T2A : « Il s’agit du moins mauvais type de financement mais il est indispensable de rechercher un nouvel équilibre. » Et de redonner une place plus importante aux logiques de budget global dévolu à certaines missions de l’hôpital. La part prépondérante du financement par la T2A induit non pas tant un problème financier qu’un problème de dynamique d’établissement et, point essentiel, de sens. Une conséquence de la T2A difficilement mesurable mais qui est au cœur du malaise de l’hôpital si abondamment décrit depuis plusieurs années.
Marisol Touraine et la nouvelle majorité semblent avoir compris le message et annoncent au minimum une révision du système de tarification qui doit aller au-delà de la fin de la convergence tarifaire avec le privé : « Une adaptation de la T2A devra par ailleurs être engagée afin de corriger les effets inflationnistes en termes d’activité ou encore les orientations défaillantes des patients au sein du système de soins », a ainsi déclaré la ministre lors de son discours inaugural au salon Hôpital Expo.
L’innovation organisationnelle manque à l’appel
Mais il serait dangereux de croire que seul le rééquilibrage entre T2A et budget global suffira à résoudre le problème. L’hôpital public est aussi confronté à des difficultés d’appréhension et d’intégration de la T2A en tant que mode de financement. Même si la situation s’est améliorée et a continué d’évoluer depuis les travaux de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) sur ce sujet, le rapport de cette dernière en 2010 sur « les impacts de la T2A sur les modes d’organisation et de fonctionnement des établissements de santé » fait écho à ce que l’on entend encore aujourd’hui « en off » de la part d’acteurs hospitaliers : si la T2A a induit « de l’innovation gestionnaire », elle a peu créé « d’innovation organisationnelle ». Une autre façon de dire que le passage d’un mode administratif à un mode gestionnaire n’est pas totalement achevé. Cette inadéquation ne va pas sans créer des tensions supplémentaires en plus des pressions de rentabilité inhérentes à la T2A.
Encore de gros efforts de changement
Or, comme l’explique la Drees dans son rapport, « il est connu de longue date que la conduite du changement organisationnel dans un établissement de soins se révèle hautement complexe ». D’une part, des économistes de la santé comme Jean de Kervasdoué soulignent régulièrement le caractère paralysant de la structuration en statuts de la fonction publique hospitalière. D’autre part, s’ajoute à ce phénomène l’inertie de certains acteurs hospitaliers qui ont intérêt à ce que rien ne change afin de rester rois en leur domaine. Et, bien entendu, la nature complexe de l’activité hospitalière, à la fois hautement qualifiée et faisant appel à de très nombreuses compétences, est un excellent terreau qui favorise ces blocages.
Il faudra encore donc de gros efforts en matière de conduite du changement pour aboutir à la prise en compte de la T2A et de ses outils de gestion spécifiques et nécessaires. Aujourd’hui, se pose en effet, pour les directeurs d’hôpitaux ou les soignants, la question de savoir comment prendre des décisions éclairées sans disposer d’une comptabilité analytique de qualité. Or, une telle comptabilité ne serait pas encore très répandue, à en croire ceux qui se targuent de ne pas pratiquer la langue de bois.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature