Si « Le Généraliste » était paru en mars 1902

Une  étrange éruption spontanée d’aiguilles !

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Publié le 14/03/2016
Histoire

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« Les avait-elle réellement avalées, Mlle Landrieux, il y a quelques années, ces centaines d’aiguilles trouvées dans son bras, sous ses paupières et un peu sur toutes les parties de son corps, continue à se demander « Le Temps » ? Ou bien est-ce une simulatrice, une malade qui, par plaisir ou par jeu, se les était plantées elle-même ?

L’enquête, faite à Saint-Germain-en-Laye auprès des médecins qui ont observé la jeune fille, n’a pas précisément éclairci la question. L’un a dit, on s’en souvient : « Je puis certifier qu’il n’y a aucune simulation » ; et, à l’appui de son dire, il citait des observations concluantes. L’autre a affirmé que «  cette petite se fichait du monde » et, pour preuve, il a énuméré un nombre non moins grand d’observations également concluantes.

Enfin, pour mettre le comble à l’incertitude, le pharmacien, que l’on supposait devoir puiser dans une conviction absolue de la bonne foi de la jeune fille cette inlassable bonne volonté avec laquelle, chaque heure, chaque minute, il lui enlevait de nouvelles aiguilles, montra quelque perplexité. Depuis qu’il avait vu les deux médecins et qu’il avait entendu leurs avis, il était partagé entre deux opinions contraires dont i trouvait tour à tour et même simultanément les arguments irréfutables. Pour arrêter son jugement, il comptait sur ce qui se passerait par la suite : « Nous verrons bien, avait-il dit, s’il en sort encore longtemps. Ce serait alors la preuve d’une supercherie ».

Huit jours passèrent et Mlle Landrieux entra à l’hôpital dans le service d’un excellent camarade d’internat, M. le Dr Grandhomme. Or M. le Dr Grandhomme est précisément celui qui avait déclaré au début que «  cette petite se fichait du monde ». Il n’a pas changé d’avis depuis. “« J’ai fait conduire à l’hôpital Mlle Landrieux, a-t-il dit à un rédacteur du « Temps », pour lui extraire les aiguilles introduites trop profondément sous la peau et qu’on ne pouvait plus saisir. Il a fallu faire des incisions sous-cutanées de deux à trois centimètres de long, opération douloureuse mais qui n’a pas semblé la faire souffrir beaucoup. Nous ne l’avions pas endormie pourtant. D’ailleurs l’opération lui aurait fait un peu mal que cela n’aurait pas été fâcheux car elle aurait peut-être guéri de cette manie. Elle est sortie bien portante de l’hôpital. Mais ses patrons ont tenu à s’en défaire. Ils l’ont renvoyée dans son pays. » 

Pour nous, nous persistons à penser que M. le Dr Grandhomme est un peu trop affirmatif. En prétendant que toutes les aiguilles ont été introduites sous la peau par la jeune fille elle-même, il s’avance trop car, très certainement, cette petite bonne n’aurait jamais eu l’idée de se livrer à pareil exercice, si quelques aiguilles n’étaient pas sorties spontanément. Il y a des faits que les plus belles hystériques ne sauraient inventer sans avoir eu un modèle sous les yeux.

En tout cas, il y avait un excellent moyen, comme nous l’avons répété depuis quinze jours, de s’assurer du fait de l’absorption des aiguilles. C’était de rechercher s’il y en avait dans le foie, dans le cœur, dans les poumons, etc., comme dans les cas de Rose : cela en faisant radiographier la totalité du tronc, sans oublier les membres, de Mlle Landrieux. Et nous ne comprenons pas pourquoi à l’hôpital de Saint-Germain, on ne s’est pas livré à cette opération anodine avant de se livrer dans des affirmations un peu risquées. Ajoutons qu’au point de vue purement scientifique, il est regrettable qu’on n’ait pas élucidé la question car elle valait la peine. En effet, dans l’esprit de tous, un doute reste, soit dans un sens, soit dans l’autre.  

(La Gazette médicale de Paris, j1902)


Source : lequotidiendumedecin.fr