L ORSQU'ON lit les titres des journaux, on se croit au bord d'une apocalypse sociale : des sociétés célèbres annoncent des licenciements massifs. De l'étranger, nous parviennent des informations encore moins rassurantes : des marques de notoriété mondiale qui cumulent les pertes et renvoient des centaines ou des milliers d'employés, d'anciennes stars des nouvelles technologies soudain pauvres ou ruinées, et partout des révisions à la baisse des résultats.
Alors, c'est la récession ? Nous sommes à la fin du mois d'avril et les prévisions économiques pour cette année commencent donc à être crédibles. Pour la France, les analystes économiques avancent un taux de croissance de 2,9 % en 2001, 2,8 % en 2002.
La conjoncture et la perception qu'on en a
Les prochaines statistiques de l'emploi indiqueront un nouveau et substantiel recul du chômage. Malgré Danone, malgré AOM, malgré Air Liberté, malgré Moulinex. Tout se passe comme si ces chutes spectaculaires, dont le pays débat avec passion, nous renvoyaient aux heures les plus noires de la stagnation.
En réalité, il n'en est rien. Si le sort des salariés d'une entreprise qui ferme ses portes ne peut pas être noyé dans le tableau social national et mérite toute l'attention des pouvoirs publics, il ne rend pas compte pour autant de la santé de la France. Elle est bonne. Elle est meilleure que celle de la plupart de ses partenaires européens et l'inflation, en France, sera cette année la plus faible de l'Europe. Nous continuons à exporter vigoureusement. La confiance des ménages a rebondi le mois dernier, ce qui lui a valu un coup de chapeau de la Bourse.
On peut donc mesurer la distance qui sépare la réalité de la conjoncture et la perception qu'en ont les Français. D'ailleurs, les plans sociaux qu'on annonce ici et là paraissent d'autant plus intolérables à l'opinion qu'elle devine ou sait que nous ne sommes pas en période de récession. La médiatisation inévitable de la faillite de deux compagnies de transport aérien, ou de Moulinex, qui n'a jamais pu s'adapter à la crise de jadis, augmente le malaise populaire.
De sorte que le gouvernement se croit obligé d'intervenir, comme il l'a fait en durcissant les modalités du licenciement. Chargée d'exposer aux députés un projet dont elle discernait les inconvénients, Elisabeth Guigou l'a défendu avec un minimum de conviction, traduisant de la sorte l'embarras profond du gouvernement, partagé entre la nécessité de donner un os à ronger à sa majorité plurielle et celle de ne pas compromettre une croissance satisfaisante. De sorte que le projet a été critiqué à la fois par la droite et par la gauche. Par la droite qui court ainsi le risque de sembler bien indifférente au sort des travailleurs ; par la gauche, qui en voulait plus et dont certains éléments ne sont pas loin de vouloir administrer l'économie. Rien ne justifie qu'une société qui fait des bénéfices livre ses employés au dénuement. Rien ne justifie non plus qu'une économie saine et performante soit freinée par une intervention inutile de l'Etat.
Jospin harcelé
Le Premier ministre doit observer un certain nombre de règles mais personne ne l'empêche de décrocher son téléphone pour signaler son inquiétude aux dirigeants de Danone. Une intervention au coup par coup est de loin préférable à une réglementation qui fera des victimes parmi les innocents risque de réduire l'embauche. Car une entreprise évite de recruter si elle n'a pas la possibilité de licencier en cas de revers de fortune. Il ne faut pas intervenir dans le jeu du marché.
M. Jospin le sait, mais il est harcelé par tous ceux qui, dans sa majorité, lui reprochent son « déficit social ». Il n'est pas moins regrettable qu'Ernest-Antoine Seillière soit personnellement concerné par le passif d'AOM et d'Air Liberté. Le « patron des patrons » devrait se souvenir qu'en France le patron fait peur, qu'il est trop souvent considéré comme l'adversaire, pour ne pas dire l'ennemi, et que la longue crise de 1975 à 1997 n'a pas contribué à redorer son image.
Le patronat a lutté contre cette crise par un immense effort de restructuration dont le pays entier touche aujourd'hui les dividendes.
Les échéances électorales
Mais on retient seulement que cet assainissement a fait monter le chômage au taux de 12,5 %. Aujourd'hui, le gouvernement se targue d'avoir créé un million d'emplois. Il n'y est à peu près pour rien. L'opinion le croit et s'indigne des licenciements « boursiers ». Tout est vrai : que certaines sociétés exagèrent et se soumettent aux volontés de leurs cruels actionnaires, notamment les étrangers ; mais que d'autres progressent et embauchent ; que le gouvernement de M. Jospin n'a pas enterré l'économie de marché, comme le souhaitent les communistes par exemple ; que les échéances électorales brouillent les cartes et ne dictent pas les comportements les plus rigoureux, ni dans la majorité ni dans l'opposition. Ce qui est certain, c'est que le traitement de l'économie par la classe politique est toujours douteux. Et que plus l'Etat reste en dehors du monde des affaires, mieux les Français s'en porteront.
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